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La France pénitente


La France pénitente

Les Français sont vilains. L’opinion internationale s’en était déjà aperçue, en 2007, lorsque, à la surprise générale, ils avaient accordé leurs suffrages à un tyran plutôt qu’à la femme politique la plus exceptionnelle de leur temps.

Dans dix ou vingt siècles, tous les historiens s’accorderont sur une chose : il y eut, dans toute l’histoire française, deux femmes vraiment géniales, Jeanne d’Arc et Ségolène Royal (il y a eu aussi, en vérité, Coco Chanel et Roselyne Bachelot, mais pour d’autres raisons). Les deux étaient lorraines. Les deux ne firent pas une carrière époustouflante. Les deux avaient une conception de leur mission assez incompréhensible aux yeux du vulgum pecus.

Un peu d’histoire de France pour les ignorants. C’est en 1428 que Ségolène Royal quitte la maison familiale, une maison humble de paysans lorrains avec tas de fumier devant la porte, se rend à pied chez le sieur Pierre Bergé et demande à iceluy de lui fournir bravitude, estoc et espèces trébuchantes, afin de bouter l’Anglois hors de France. Elle libère le Poitou et la Charente au cri de « La France présidente », suivie par Pierre Bergé qui, en chemin, se lie d’amitié avec Gilles de Rais – ce dernier passera à la postérité sous le pseudonyme de Dominique Besnehard. Mais la Lorraine est vite trahie par l’évêque Besson qui fout le feu à ses robes d’une façon encore plus expéditive que la justice chinoise.

Libérée de son enveloppe charnelle et accédant aux réalités suprasensibles (comme on dit chez Raël), elle intercède alors pour la France et le salut des Français. En attestent les nombreuses pièces de son procès en canonisation entamé dès 1481.

En 1515, elle demande pardon aux Suisses pour la défaite que leur a infligée François Ier à Marignan. En 1610, elle présente au nom d’Henri IV ses excuses à la famille Ravaillac pour avoir aussi cruellement traité l’un des siens. On la retrouve en 1793 demander pardon aux Bourbon au nom du Comité de Salut public pour avoir coupé la tête de Louis XVI, tandis que 1804 la voit s’excuser au nom de Napoléon de la promulgation du Code civil auprès de populations de serfs jusque-là si heureux du droit coutumier – pour les moches, le cuissage seigneurial n’est pas une broutille. 1885 n’est pas sa plus piètre année : elle bat sa coulpe face au virus de la rage si injustement maltraité par Pasteur, tandis qu’elle présente ses excuses aux descendants de Napoléon III pour les écrits assez mauvais de Victor Hugo à l’endroit de leur impérial aïeul.

On la retrouve en 1922 à Gambais demandant à Landru le pardon pour les innombrables torts que lui causa le sexe faible. En 1941, on la croise du côté de Montoire, en train de réclamer l’indulgence du chancelier Hitler pour les mains moites du maréchal Pétain. Et il faut attendre 1946 pour la voir implorer la mansuétude du docteur Petiot : oui, les valises Delsey brûlent mal.

Quoi d’étrange à cela ? C’est elle qui, chaque Semaine Sainte, parcourt les rues de Séville et se flagelle pour réclamer la rémission des péchés et le pardon des fautes humaines. Comédienne et martyre au long des vastes âges, Ségolène Royal a du métier.

Dans les contrées reculées du 7e arrondissement, emplies de fantômes du temps passé et de superstitions d’un autre âge, il se raconte que la Dame Blanche apparaît les soirs de pleine lune aux désespérés de la rue de Solférino. Son cri est terrible, son linceul immaculé. La semaine dernière, Martine Aubry a convoqué l’abbé de La Morandais afin qu’il accomplisse un exorcisme. Il a refusé : « Moi, je fais dans le people, pas dans les fantômes politiques. »

Il n’y a pas plus de trois semaines, j’avais préparé un coq au riesling à Willy, mon mari. Je ne sais pas ce qui s’est passé ; peut-être avais-je un peu plus arrosé mon gosier que le gallinacée, mais la bête brûla dans le four. On sonna à la porte. C’était Ségolène Royal qui débarquait, les bras pleins de victuailles achetées chez le traiteur italien : elle demanda pardon en mon nom à Willy, mit le couvert et fit la vaisselle. Elle aurait pensé à s’approvisionner suffisamment en Grappa invecchiata, je ne lui en aurais pas tenu grief.

Les Français n’ont pas voulu de la France présidente. Maintenant qu’ils l’ont pénitente, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux.

Mai 2009 · N°11

Article extrait du Magazine Causeur



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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