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Khadafithon


Khadafithon

Ce matin, je me suis réveillée avec les idées noires. J’espère que la currywurst que j’ai mangée hier soir au marché de Noël de Stuttgart n’était pas avariée. Willy, mon mari, me dit que non. Il connaît les vrais fautifs : Karlheinz Stockhausen et Mouammar Khadafi.

Avec la mort du premier, c’est l’un des plus grands compositeurs contemporains qui disparaît. De la musique savante à la pop music, son influence était telle qu’on le qualifie depuis longtemps de Beethoven du XXe siècle. Aux yeux de Stockhausen, tout était art, même les attentats du 11 septembre 2001, dont il disait qu’ils étaient « la plus grande oeuvre d’art totale jamais réalisée ». Quel grand esprit ! En mourant dans son lit, à domicile, Stockhausen aura réalisé la seule oeuvre d’art minimaliste de sa carrière.

Quant à Mouammar Khadafi, il n’est pas mort (enfin, pas autant que Fidel Castro). Il vient faire du tourisme à Paris. Le Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste est un artiste en son genre. Il a contribué à renouveler la littérature militante, en repeignant en vert le Livre rouge de Mao. C’est aussi un pionnier de l’écologie : afin d’économiser le papier (et réduire ainsi la déforestation amazonienne), aucun bulletin de vote n’a été produit dans toute la Lybie depuis 1970. Enfin, avant d’entamer une carrière de saint Bulgare et de remiser les explosifs au placard, le colonel Khadafi a été célébré dans le monde entier pour exactement les mêmes raisons que Karlheinz Stockhausen : la rapidité d’exécution.

Le petit problème est que l’excursion parisienne du dirigeant lybien n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. François Hollande récrimine, Bernard-Henri Lévy trépigne, Pierre Moscovici s’indigne et Ségolène Royal n’a rien à rajouter. Khadafi aura réussi le tour de force d’unir tous les socialistes français. Cet homme-là est bien parti pour finir premier secrétaire.

Néanmoins, de cette unanimité socialiste, on dénombre déjà une victime : le socialiste suisse Jean Ziegler. Cofondateur du Prix Khadafi des droits de l’Homme[1. Créé par Jean Ziegler et Mouammar Khadafi en 1988, le prix Khadafi récompense des personnalités reconnues pour leur action résolue en faveur des droits de l’Homme, comme Fidel Castro (1998) ou Hugo Chavez (2004). Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Jean Ziegler a lui-même été distingué par le prix Khadafi. C’était en 2002, aux côtés d’un défenseur acharné des droits de l’Homme s’il en est : Robert Faurisson.], il vient certainement de perdre tous ses amis d’une gauche française qui voyait en lui jusqu’à peu l’un des champions de l’altermondialisme et le considérait comme une référence indépassable.

Mais tout cela ne devrait pas empêcher Nicolas Sarkozy d’organiser correctement son Khadafithon.

Traduit de l’allemand par l’auteur.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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