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Je suis une femme, pourquoi pas vous ?


Il y a bien la crise financière, les petits cris aigus des golden boys, le malaise soudain de l’épargnant qui vient de jouer à la bête à deux dos sans y avoir consenti. Il y a bien les élections américaines qui nous renseignent sur l’état de délabrement démocratique d’un pays qui hésite encore à voter Barack Obama. Cependant, la fébrilité de l’actualité n’explique pas l’omerta qui entoure le 40e anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes. Aucun journal n’a consacré de gros titre à la mémoire de cet événement qui pourtant bouleversa en 1968 la vie de millions de Françaises. Le fait que l’immense majorité des rédactions du pays[1. On m’objectera que la rédaction de Causeur est dirigée par une femme. Certes. Mais il reste encore à démontrer qu’Elisabeth Lévy n’est pas hyper machiste.] soit dirigée par des hommes expliquerait-il cela ? Bien sûr que oui, et cela nous rappelle que le combat est loin d’être achevé.

Les temps ne sont pas, après tout, si éloignés où nos mères, victimes du phallisme dominant, devaient subir sans broncher les assauts répétés de nos pères, qui, ivres de mauvais vin, rentraient à la maison, laissaient derrière eux l’huis clos, rabaissaient leurs braies et redoublaient d’assaut.

Bon. Mon père n’était pas de ce genre-là. Il était plutôt bonhomme et poussait la sollicitude jusqu’à faire la vaisselle un soir sur deux[2. Même dans l’accomplissement des tâches ménagères, nous conservons en Allemagne notre sacro-saint précepte : Ordnung muss sein (tout doit être en ordre).]. Mais nous autres femmes connaissons ce genre de ruse masculine : il a joué l’affable mari jusqu’au dernier jour de la vie de maman, tenant sa main jusqu’à son dernier souffle et mourant poliment une semaine après elle, uniquement dans le but de l’asservir à la morale patriarcale dans laquelle est engoncé tout l’Occident.

D’ailleurs, s’il avait été aussi prévenant, il aurait laissé maman travailler et vivre sa vie de femme libérée plutôt que de la confiner à l’élevage de quatre enfants. Sa robustesse physique en aurait fait une excellente bûcheronne, une chauffeure-routière ou l’une de ces manœuvrières du BTP qui vous creusent une tranchée comme si elles avaient fait Verdun[3. Le fait est assez peu connu en France, mais les Allemands aussi ont combattu à Verdun.] .

Grâce au MLF et à ses combats de gauche, les femmes françaises ont pu avoir droit à la contraception et à l’avortement. Peut-être que la contraception a été légalisée un an avant la création du MLF, mais n’empêche : Lucienne Neuwirth, quelle femme ! Elle était de la trempe des Olympe de Gouges et des Clara Zetkin ; et si jamais en France il devait se construire un jour un Gynécon – équivalent féminin de l’ignoble et sexiste Panthéon – Lulu y aurait bonne place.

C’est que le MLF est parti d’un bon sentiment : les hommes sont des salauds. C’est une vérité universelle. Et quiconque n’a jamais été contraint de ramasser les sous-vêtements de son mari négligemment jetés dans la salle de bains ne peut comprendre la portée philosophique d’une telle assertion.

Ce dont nous sommes encore plus sûre, c’est qu’en quarante ans le Mouvement de Libération des Femmes a pu faire avancer les choses en France : il a fallu quand même quatre décennies pour que la République passe de Tante Yvonne à Carla Bruni. On peut, sur ce point, remercier les électeurs français qui n’ont pas choisi de porter Ségolène Royal à la présidence : la France serait passée de Tante Yvonne à François Hollande. Et cela aurait été tout à fait inacceptable du point de vue féministe. Si aujourd’hui la première Dame de France peut tâter de la guitare, sans pour autant arborer les mâles bacchantes de l’ignoble Brassens, c’est à l’inlassable combat des militantes de la cause que nous le devons.

La littérature n’a pas non plus été indifférente au combat féministe[4. La société, la littérature, mais pas encore la politique qui est entachée, en France, d’un machisme primaire. Pourquoi Gérard Larcher a-t-il été élu contre Jean-Pierre Raffarin ? Parce que c’était un homme !]. En passant de Simone de Beauvoir à Christine Angot, le Deuxième sexe a enfin cédé la place à l’interrogation pertinente sur la deuxième voie, celle que veut emprunter Doc Gynéco et que Sartre ne frayait qu’accidentellement. Vive le progrès.

Il nous reste, à nous autres féministes, à poursuivre le combat. Le premier qu’il nous faut livrer, c’est le combat contre les homosexuels. Ces mecs nous font croire qu’ils ont abandonné les réflexes patriarcaux pour jouer les chochottes et tordre du cul en marchant. Ne prêtons aucun crédit aux billevesées de ces machistes qui se peignent les ongles en rouge. Même s’ils s’empapaoutent chaque dimanche devant TF1, ils restent des mecs et des salauds qui veulent nous asservir. Luttons contre.

Quant à moi, qui ai été de tous les combats, je sais, la soixantaine passée, que mon corps désormais m’appartient. Ça tombe assez mal, j’aurais bien aimé le partager un peu.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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