Immigration: pourquoi il n’y a pas de débat en Suède


Immigration: pourquoi il n’y a pas de débat en Suède

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Depuis des mois, les relations entre la Suède et le Danemark ont pris un tour orageux. En cause : la politique d’immigration, restrictive au Danemark, très libérale en Suède. La brouille n’a pas attendu les dernières élections qui, à Copenhague, ont été remportées par une majorité de droite légèrement dominée en terme de suffrages et d’élus par le Parti du Peuple danois (Dansk Folkeparti, DF). Ainsi, le parti socialiste suédois avait dès le printemps dernier annoncé sa rupture avec son alter ego danois, après que celui-ci, sous la pression d’une opinion publique chauffée à blanc, eut annoncé son virage sur la question migratoire.

Ce désaccord s’est transformé en querelle, lorsque le gouvernement danois a décidé de protéger (temporairement) sa frontière et bloqué le trafic ferroviaire entre l’Allemagne et la Suède, via Copenhague. Les mots qui fâchent ont été lancés, les indignations symétriques se sont dressées, les uns se sont sentis un peu plus Danois, les autres un peu plus Suédois, et tous de moins en moins Scandinaves.

Mais les querelles ont parfois du bon, et peuvent aussi permettre qu’on se parle (enfin) de ce qui fâche.

L’interview parue dans le Jyllands Posten (Danemark) d’un journaliste suédois, Johann Andersson, par l’écrivain et historien danois Mikaël Jalving fait froid dans le dos, tant le premier décrit une sorte de totalitarisme progressiste qui sévirait dans les médias outre-Øresund. Mais il rassure aussi : c’est quand on commence à percevoir la tyrannie d’une idéologie qu’elle perd de sa puissance.

Le journaliste suédois affirme d’emblée : « En Suède, les médias ne surveillent pas le pouvoir, ils surveillent le peuple. » Puis il décrit la manière dont des journalistes ont harcelé une blogueuse, connue sur la toile sous le nom de Julia Caesar et qui, tant sur les questions d’immigration que de genres, affichaient des opinions dissidentes. En dernier ressort, le nom, l’adresse et la photo de la blogueuse auraient été publiés, contre le souhait de cette dernière, journaliste à la retraite. « De cette manière, les médias mainstream lui ont fermé le clapet, elle devenait trop dangereuse. » C’est à cause de cet exemple que le journaliste interviewé tient à garder une sorte d’anonymat (il donne son nom, si courant qu’il pourrait être un pseudonyme, mais refuse d’être photographié).

Comme Mikaël Jalving s’étonne de cette peur (qui fait le jeu du pouvoir), Johann Andersson la justifie et évoque la pression sociale, voire physique (cas de violences contre certains blogueurs), mais insiste surtout sur la légitimation par les élites de ces intimidations : la gauche a en effet inventé le concept de « god had », la bonne haine, la haine justifiée, la haine nécessaire. Cette « bonne haine » est alors relayée par des associations dites antifascistes et antiracistes. Cette bonne conscience et cette impunité morale se double, pour les journalistes, du sentiment d’être objectifs quand les dissidents, quand ils évoquent ce qu’ils constatent, sont nécessairement au mieux victimes d’idées reçues, au pire fanatiques et partisans.

Tout ceci n’étonnera que modérément les lecteurs français qui connaissent un même « climat du débat » depuis de nombreux mois. Mais, là où l’interview devient passionnante, c’est lorsque le journaliste suédois analyse ce que nous appellerons ici les ressorts pulsionnels de la politique de son pays.

Pour Johann Andersson, il y a derrière la politique très favorable à l’immigration des élites suédoises deux désirs aussi inconscients que têtus.

Le premier consiste à être moralement les meilleurs. Il ne s’agit pas d’agir bien, mais d’agir mieux. Mieux que tous les autres. Andersson déclare que son pays veut devenir le meilleur élève de le communauté internationale, le chouchou des Nations-Unies (« Eliterne drømmer om at gøre Sverige til FN’s kæledægge »). Le second consiste à obliger les autres nations européennes à suivre son exemple, en étant à la fois membre de l’espace Schengen et en n’appliquant pas le protocole de Dublin, créant ainsi une situation de fait contraignant les autres capitales à réviser leurs propres politiques (ce qu’ont fait l’Allemagne, puis la France…). Andersson conclut ainsi « Sveriges politik er en trussel mot hele Europa » : La politique menée par la Suède constitue une menace pour l’ensemble de l’Europe.
Nous comprenons ici que la position narcissique des élites suédoises renvoie à quelque chose apprise fort tôt à l’école et dans la famille : la sublimation de la pulsion de domination par un surmoi exemplaire et persécutif, véritable colonne vertébrale de la société du consentement. Chacun est appelé à exercer son emprise sur l’autre en exerçant un mieux-disant, mieux-faisant moral, sanctionné positivement par l’Autorité.

Le grand intérêt de cette analyse est qu’elle dépasse l’explicite et le conscient pour aborder la dimension irrationnelle et intime des comportements politiques. On comprend bien pourquoi il ne peut y avoir débat sur la question migratoire (un argument du type « en déracinant définitivement les classes moyennes syriennes, vous appauvrissez le pays et ruinez son futur » n’a aucune chance d’être entendu pour ce qu’il est, il relèvera automatiquement pour l’interlocuteur d’un non-dit « Démocrate-suédois »).

Certes, une telle analyse ne prête pas à l’optimisme, mais il reste qu’une brèche est ouverte. Si pareil diagnostic peut-être posé en Suède même, alors nécessairement, le débat s’ouvrira un jour.

*Photo : Sipa. Numéro de reportage : AP21801087_000001.



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