Montbéliard : le choc des déculturations


Montbéliard : le choc des déculturations

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Manuel Valls m’avait mis la puce à l’oreille. Le 27 janvier, dans une obscure salle communale du Doubs, le Premier ministre s’éraillait la voix à soutenir le candidat PS aux départementales d’Audincourt, dans l’espoir de contrer la percée du Front national dans l’ancien fief de Pierre Moscovici. Lequel, s’il connaît la crise, n’est pas – encore – un désert industriel (voir encadré). Au second tour, le socialiste du cru n’a battu le jeune parachuté frontiste que d’un cheveu. Ce dénouement m’a inspiré une hypothèse de départ, assez banale au demeurant : dans ce petit bout de France de tradition socialiste et protestante, moins touché par la crise que beaucoup d’autres, c’est bien l’immigration massive qui est à l’origine de la percée du FN. Comme pour confirmer mon pressentiment, début août, une étude commandée par la Commission européenne désignait l’immigration comme le principal sujet de préoccupation des Européens, devant l’économie ou la sécurité. Quoi qu’en dise notre Premier ministre, si le « vivre-ensemble » s’écaille, ce n’est donc pas la conséquence d’un « apartheid » instauré par je ne sais quel régime ségrégationniste dont on ne trouve nulle trace sur le Vieux Continent, mais le fait des différentes couches de la société, « diversité » comprise.

Pour en avoir le cœur net, je me suis lancé dans une petite escapade au cœur du pays de Montbéliard. Audincourt, Hérimoncourt, Seloncourt, Exincourt et j’en passe : dans cette région de grande industrie (Peugeot, Alstom), des villes qui n’en sont pas vraiment voient alterner quartiers pavillonnaires, centres urbains morts et habitat semi-rural. Et il suffit de gratter un peu pour que le chaland aborde le sujet tabou entre mille : l’immigration arabo-musulmane. Dès la sortie du bus reliant la gare TGV au centre de Montbéliard, un ovni m’accoste. Marie, la cinquantaine, fille d’immigrés algériens arrivés en France dès le début des « événements », m’a entendu décrire le sujet de mon reportage au téléphone. Convertie au protestantisme, elle ne mâche pas ses mots : « La société devient de plus en plus raciste, avec d’un côté l’islam conquérant, de l’autre le vote FN qui grimpe.[access capability= »lire_inedits »] J’habite la ZUP [zone urbaine prioritaire] de Montbéliard. Ici, ce ne sont pas le chômage ni la misère qui jouent, mais la pauvreté spirituelle et mentale. » Avec son léger accent maghrébin, Marie traduit dans le langage courant le diagnostic du géographe social Christophe Guilluy. Dans cette France périphérique touchée de plein fouet par une immigration massive et incontrôlée se trame en effet une « guerre des pauvres » contre les pauvres : le « Français de souche », ou assimilé comme tel, peste régulièrement contre les enfants d’immigrés allocataires de prestations sociales. Une anonyme me glisse qu’après son divorce, les services sociaux lui ont refusé un appartement F3 « parce que j’étais française », alors même qu’ils attribuaient « un F5 à un Algérien avec sa fille qui ne payaient pas le loyer ». D’où cette conclusion abrupte : « Il faut s’appeler Fatima. Dans la ZUP, les seules boîtes aux lettres que les voyous n’explosent pas sont celles de La Poste, de la Sécurité sociale et de la CAF. » Pour les « petits Blancs » qui se pressent à Pôle emploi, les services sociaux sont des robinets abreuvant exclusivement ou presque les Français de fraîche date. En réaction, la majeure partie des classes populaires se réfugie dans l’abstention ou le vote frontiste, quand elle ne plébiscite pas la droite Buisson, même si cette dernière rogne sur les aides sociales.

Jérôme, 30 ans, est un cas d’école. Ce cuisinier à l’accent comtois très prononcé a grandi dans une barre HLM d’Audincourt, à quelques kilomètres de la Suisse. « Il y a quinze ans, il y avait une famille d’immigrés par bloc, super bien intégrée, une dame très bien s’occupait de répartir les logements. Maintenant, il n’y a plus qu’une famille de Français (sic) par immeuble. » Et Jérôme de poursuivre sa diatribe : « Ma femme assure des remplacements dans les services scolaires de Montbéliard. La nouvelle mairie UMP a réduit les effectifs municipaux, du coup, avec ses contrats de six mois renouvelés, elle peut être virée du jour au lendemain. » Un matin qu’elle surveillait une maternelle de la ZUP, une grand-mère d’élève l’a morigénée en arabe, son interprète au bras, dans l’enceinte de l’école, parce que son petit-fils avait été puni. Anecdotique, cette mésaventure ? À en croire Jérôme, il n’est pas rare que la pionne pour culottes courtes se fasse traiter de « sale p… blanche » par de jeunes malotrus lui reprochant de marcher tête nue. Il faut bien l’avouer, la « halalisation » (Gilles Kepel) de quartiers entiers de Montbéliard est en marche. Aux Hexagones, le centre commercial planté aux abords de la ZUP, on voit déambuler « Turcs » et « Arabes », strictement séparés, qui emplissent à ras bord leurs caddies d’avant-ramadan ou se fournissent en enluminures coraniques. Sur le marché, la mode est aux voiles de couleur pour les femmes, à la djellaba pour les hommes. Il y a quelque chose de piquant à lire l’inscription « 100 % made in France » sur un étal proposant des couvre-chefs islamiques – la démondialisation d’Arnaud Montebourg version charia ! Quelques mètres plus loin, un salafiste à la barbe fournie et au front marqué par ses génuflexions quotidiennes exhorte les fidèles, pardon, les passants, à financer l’extension de la mosquée de… Madrid ! Lorsque j’engage la conversation en arabe, cet islamiste tendance piétiste refuse que je le photographie (« c’est haram ») mais m’invite cordialement à immortaliser sa pancarte. Apparemment, l’homme préfère la prédication au terrorisme, l’islamisation de la vieille Europe au djihad de l’État islamique. Dans bien des commerces, une tirelire placée près de la caisse appelle l’obole du généreux donateur qui voudrait financer la construction d’une mosquée, l’aide aux Palestiniens, ou quelque autre cause islamique. Sur le marché des Hexagones, on chercherait en vain « les white, les blancos » dont Manuel Valls avait noté l’absence criante dans sa ville d’Évry. Toutefois, ce ghetto à ciel ouvert n’est le fait d’aucun « apartheid » mais le symptôme de la greffe ratée entre le mode de vie locale et la culture des derniers arrivants. « Pour s’assimiler, faudrait presque mettre le voile », soupirent certains Doubistes de souche, atterrés par la métamorphose de leur environnement urbain. Dans les zones HLM de Montbéliard, l’« insécurité culturelle » version Guilluy n’a rien du fantasme xénophobe.

« On ne reproche pas aux gens leurs origines mais leur culture », se justifie Jérôme, lorsqu’il avoue voter FN, comme un électeur du coin sur deux. Pendant la dernière Coupe du monde de football, les pompiers ont été sommés de retirer le drapeau français dont ils avaient orné leur camion, afin de ne pas « provoquer » les supporters de l’équipe algérienne. Comme le pickpocket parisien que les annonces de la RATP nous invitent à ne pas « tenter », le lascar montbéliardais a l’âme sensible et le caractère ombrageux. Ceci expliquant sans doute que, le soir venu, tandis que les bandes de jeunes fument joint sur joint, les rues restent désespérément désertes.

Il est vrai que les guerres de tranchées ethniques n’épuisent pas les motifs de tension. « Ici, c’est un Arabe contre un Arabe », ironise Fayçal, bistrotier d’Hérimoncourt, victime régulière des avanies des « jeunes » – comme on les appelle pudiquement à la télévision. Entre les volutes de cigarette planant dans l’air de tous les cafés du Doubs, où la loi antitabac n’est pas encore de saison, ce fils d’une famille algérienne me décrit la fracture générationnelle qui scinde l’immigration nord-africaine. « Aujourd’hui, il n’y a plus d’autorité. Le gosse achète le père en lui donnant les 200 euros qu’il a gagnés au deal. Nous, on se cachait pour aller rouler un joint, eux le font devant tout le monde. » D’une tranche d’âge à l’autre, on a acquis la nationalité française et l’accent comtois, parfois panaché avec la scansion heurtée du sabir des banlieues, mais le cœur penche souvent vers un Maghreb mythifié. Sans doute est-ce le signe que l’intégration fonctionne, au sens péjoratif que Jean-Claude Michéa attache à ce mot. Comme s’en amusait le philosophe montpelliérain, la « caillera » partage toutes les valeurs de la société de marché à laquelle on la supplie de s’intégrer. Quand le « jeune » rivalise d’ivrognerie avec les « Gaulois », malheur à qui conteste son droit sacré à la consommation. Un soir que « des gamins » revenaient de Suisse avec plusieurs coups dans le nez, Fayçal a refusé de les servir, ce qu’il a immédiatement payé par une vitrine cassée. Les incivilités sont monnaie courante dans cette ville fleurie sur les bords du Gland, que les bandes des bourgades alentour investissent de plus en plus. Au point que Fayçal réclame la mise en place de caméras de vidéosurveillance, contre l’avis de la mairie divers droite, trop à cheval sur l’orthodoxie budgétaire pour accorder ce genre de largesses.

Tandis que nous devisons sur le zinc, un client se présente comme un ancien ouvrier de PSA rangé des voitures, qui exerce désormais ses talents de mécanicien en Suisse. « Les flics en ont ras le bol d’arrêter des jeunes qui vont au tribunal et sont libérés. On a tout le temps vécu avec les Arabes, le problème c’est les jeunes, qui combinent aussi avec les Français », nous assène-t-il en pleine face. Il faut s’y faire : dans l’inconscient collectif de ce petit coin de Doubs, « Blanc » est synonyme de « Français » et « chrétien ». N’en déplaise aux jeteurs de sorts antiracistes, le sang, la religion et la race ont pénétré les imaginaires. Et c’est en toute ingénuité que le quidam doubiste ignore le « plébiscite de tous les jours », délesté des appartenances ethniques et religieuses, cher à Ernest Renan. « Vive l’entente entre Arabes et Français ! » ose même proférer le buveur du jour en donnant l’accolade à Fayçal. On pourrait se croire revenu aux heures de l’Algérie française d’Albert Camus.

Lorsque Fayçal et son unique client de l’après-midi évoquent le drame de l’hiver – la fermeture de l’Intermarché en novembre 2014 –, les mines se font plus maussades. Ils en ont parlé. « Cette ville de 5 000 habitants n’a même plus un seul magasin. Comment font les vieux ? s’inquiète l’ancien mécano de Peugeot, pris d’un accès de nostalgie. Tout a changé ici. Quand j’avais 20 ans, les cafés étaient animés, avec une fête le samedi. Mais les gens ne se connaissent plus. » Même à Hérimoncourt, la France d’avant s’est évaporée ; alors que chacun fait sécession derrière son écran, les seuls lieux de vie ouverts tous les jours sont le bistrot de Fayçal, le kebab et la mosquée : « Elle a remplacé le bistrot d’antan, les jeunes y boivent du thé ou du café. Ils y trouvent de la chaleur humaine. »

Les plus de 40 ans ont le sentiment d’avoir vu la fin d’un monde. Celui où jeunes et vieux tapaient le carton dans les bistrots autour d’un demi bien frais, avant de reprendre le travail à la chaîne chez Peugeot, mais aussi celui où l’on « faisait la grève au moindre truc », dixit l’ex-OS. Si son fils de 28 ans a repris le flambeau chez PSA, le cœur n’y est plus. Il y a belle lurette qu’Hérimoncourt, berceau de la famille Peugeot, n’abrite plus les maisons des ouvriers de l’usine, mais se contente d’héberger les cadres du groupe automobile. Une ancienne employée de l’entreprise avec qui j’avais rendez-vous renâcle à venir déjeuner à Hérimoncourt, où le repas se révèle pourtant copieux et bon marché : trop bourgeois, trop cher, pense-t-elle. L’habitus de classe, comme dirait l’autre.

Qu’à Peugeot ne plaise, je retrouve Sylvie à Montbéliard, pour essayer de comprendre comment des villes ouvrières se sont métamorphosées en bouillons multiculturels. Cette jeune sexagénaire a vu mourir le monde ancien au terme de ses trente-six ans de service chez PSA (1976-2013). Sa langue bien pendue m’offre un témoignage de première bourre. Les affres de l’industrie, Sylvie les a bien connues, jusqu’à son départ sans indemnités pour cause d’« inaptitude à la chaîne » – des tendinites aux deux mains, de l’arthrose aux genoux et quelques autres bobos que la direction n’a jamais reconnus comme maladies du travail. À la différence de bien des chantres du multiculturalisme abrités dans leurs ghettos bourgeois, Sylvie a passé toute sa vie d’adulte entourée de travailleurs immigrés. À cette époque, « multiethnique » ne signifiait pas nécessairement « multiculturel » : « Chez Peugeot, on “baptisait” les enfants en prenant l’apéritif quand un ouvrier devenait papa. Un jour, un Algérien tellement content d’avoir une fille a apporté le couscous de sa femme, sans boire d’alcool, raconte-t-elle le sourire aux lèvres. On l’a mangé de 22 heures à 1 heure du matin. » Si cette électrice FN de longue date n’évite pas toujours les généralisations hâtives (« Les politiques ont tout fait pour les étrangers, beaucoup pour les Arabes… »), elle ne « stigmatise » aucune communauté en particulier, ni même l’immigration en général : « Dans les années 1960-1970, les immigrants qui sont venus travailler étaient des bosseurs », reconnaît-elle avant d’égrener le long chapelet des migrations successives. Italiens, Yougoslaves, Algériens et Marocains : seuls les plus durs au mal ont fait de vieux os dans l’usine de plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers. Dans la ferveur post-68 a fleuri l’idée que le prolétariat immigré serait l’avant-garde révolutionnaire de demain. Robert Linhart entendait alors les voix de « la résistance (…) enfouie dans les collectivités nationales immigrées. Murmurée en kabyle, en arabe, en serbo-croate, en portugais »[1. L’Établi, Éditions de Minuit, 1978.]. Et la diva mao Dominique Grange décrétait : « Tous les travailleurs immigrés sont nos frères, tous unis avec eux on vous déclare la guerre (…) vous expulsez Kader, Mohamed se dresse ! »[2. Les Nouveaux Partisans, hymne de la gauche prolétarienne. ] Quarante ans plus tard, ces serments tiers-mondistes paraissent grotesques de grandiloquence. Que les damnés de la terre venus de loin pour marner chez Renault, Citroën ou PSA n’aient pas déclenché le Grand Soir n’étonne guère Sylvie. Dans son entourage immédiat, l’Autre s’appelle Atis. Une matrone turque « qui n’aime pas les Arabes », en dépit de sa profonde piété islamique. « Quand j’ai perdu mon mari, elle a été là pour moi », me confie Sylvie, non sans pudeur. Elle me décrit une Anatolienne émancipée, qui ne revêt le voile que pour prier et houspille son mari à l’occasion. Lorsque je demande à lui parler, Atis opine du fichu… puis se ravise quelques heures plus tard, sous prétexte que son époux s’oppose à notre entretien. Fermez le ban. Être une femme turque libérée, c’est pas si facile…

La condition d’Arabe de France n’est pas plus aisée, non pas tant à cause du racisme résiduel qui sévit dans certains secteurs de la société qu’à cause du tiraillement identitaire dont souffrent les enfants de la troisième et de la quatrième génération. Mieux que les sermonneurs antiracistes, Sylvie résume ce malaise avec ses propres mots : « Dans les années 1980, quand on a commencé à les traiter de beurs, ils ne savaient pas s’ils étaient français ou algériens» Trente ans après la Marche des beurs, dûment désamorcée et récupérée par le pouvoir mitterrandien, la génération SOS Racisme est fatiguée. Ni responsables de tous les maux français, ni vaches sacrées sur lesquelles la nation coupable devrait s’immoler, les immigrés souffrent des mêmes malheurs que leurs compagnons d’infortune « gaulois ». Au même titre que les « desouche », les travailleurs maghrébins ont été absorbés, déglutis puis recrachés par la machine industrielle : à Audincourt, le quartier du Maroc rappelle les ouvriers maghrébins des forges où se fabriquait la tôle des usines Peugeot jusqu’aux années 1960. Le laminoir a laissé derrière lui un paisible quartier d’habitation, où Polonais, Marocains et Italiens se sont égaillés parmi la population locale.

Quelques décennies plus tard, c’est une lapalissade de dire que le passage d’une immigration de travail contingentée à une immigration de peuplement débridée alimentée par les flux du regroupement familial (voir encadré) a bouleversé le paysage social. Au désarroi de l’ancien monde ouvrier désarçonné par la tertiarisation de l’industrie française répond le réenracinement factice des enfants de l’immigration conquis par l’islam. Ainsi, la fameuse théorie de la « destruction créatrice » schumpetérienne, selon laquelle la perte d’emplois industriels est compensée par la création de postes dans le tertiaire, s’applique drôlement à Montbéliard : au début de l’année, la police a ainsi mis la main sur un souteneur qui prostituait une demi-douzaine de professionnelles dans un loft-lupanar en leur reversant 600 euros par mois. À cette décrépitude morale, les enfants de l’immigration réislamisés (et leurs amis convertis) n’opposent qu’une Oumma virtuelle. À l’image du salafiste quêtant l’argent des Montbéliardais, ces born-again musulmans, dans leurs versions pacifique ou violente, sont à l’islam des grands-parents ce que les télévangélistes américains sont au christianisme originel : une parodie folklorisée.

C’est pourquoi le regain de religiosité musulman ne doit pas tromper. Bien qu’« aujourd’hui, en France, on se gargarise, en langage simplement publicitaire, de l’expression “diversités culturelles” », il est permis de s’interroger avec le penseur libertaire Mezioud Ouldamer : « Quelles cultures ? Il n’y en a plus. Ni chrétienne ni musulmane ; ni socialiste ni scientiste. Pourquoi parler des absents? »[3. Le Cauchemar immigré. Dans la décomposition de la France, Éditions Gérard Lebovici, 1986.] Frustré par des années de régime sans porc en Algérie, Ouldamer a découvert l’horreur du jambon synthétique. Un ersatz qui a précédé la décomposition de la France dans le maelström multiculturel sans susciter de protestation. De même, les Montbéliardais n’ont pas eu besoin de la pression culturelle islamique pour oublier leur patrimoine historique, leur saucisse et leurs fromages artisanaux, introuvables au supermarché.

Le fond de l’air n’est pas rose. Certes, la région ne fait pas partie des plus éprouvées par la pauvreté et le chômage. Mais, suivant l’adage d’un ancien président, on ne tombe pas amoureux d’une courbe de croissance. À quelques encablures des quartiers immigrés de Montbéliard, le quart-monde façon Groland croise les fastes de La Mecque. Et la juxtaposition de ces deux univers n’est pas très belle à voir. Qu’en disait de Gaulle ? Ah oui, les grands problèmes n’ont pas de solution…

 

Regroupement familial : la faute à Giscard ? [encadré 1]

Aux yeux de certains de ses détracteurs, l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing passe pour l’initiateur du regroupement familial, dont on observe chaque jour les ravages sur la ghettoïsation des immigrés, libres de ramener une femme épousée au bled. Tout centriste qu’il était, Giscard s’est toutefois fait élire en 1974 en avançant sur deux jambes : progressisme sociétal (IVG, droit de vote à 18 ans) d’un côté, promesses droitières (suspension de l’immigration, intransigeance sécuritaire, etc.) de l’autre. Dans son essai Les Yeux grands fermés (Denoël, 2010), la démographe Michèle Tribalat raconte le bras de fer juridico-politique qui a abouti à l’ouverture des frontières contre la volonté du président et de son gouvernement :

– 1974 : en pleine crise économique, le gouvernement de Jacques Chirac annonce la suspension de l’immigration. Le Conseil d’État annule l’interdiction du regroupement familial prévue par la nouvelle loi.

– 10 novembre 1977 : nouveau décret limitant le regroupement familial aux migrants refusant d’occuper un emploi en France. Le Conseil d’État le censure le 8 décembre 1978 au nom du « droit à mener une vie familiale normale ».

Ainsi s’ouvrirent les vannes de l’immigration de peuplement.

 

PSA : la délocalisation tranquille [encadré 2]

Sur le papier, Peugeot-Citroën reste le premier site industriel de France et le poumon économique du triangle Sochaux-Montbéliard-Belfort. Mais le groupe a frôlé l’accident industriel au cours de l’hiver 2012, enregistrant des pertes records, fermant l’usine d’Aulnay au terme d’un plan social carabiné, avant d’être sauvé in extremis au printemps 2014 par l’État français et le constructeur chinois Dongfeng, nouveau venu dans le capital de PSA. Depuis, si Peugeot a renoué avec les bénéfices, les PME franc-comtoises craignent l’ouverture progressive de Peugeot à des sous-traitants chinois. La vente récente à une entreprise hongkongaise du FC Sochaux, club de football fondé par Jean-Pierre Peugeot il y a quatre-vingts ans, laisse peut-être augurer le divorce entre l’entreprise française et son fief. Depuis de nombreuses années, Peugeot démantèle en effet son unité de production locale : de 44 000 employés au mitan des années 1970, l’usine doubiste de PSA a réduit la voilure à 9 000 ouvriers. Et ce n’est pas fini : l’ouverture de plusieurs usines PSA au Maroc à l’horizon 2019, annoncée par la direction de Peugeot avec la bénédiction du gouvernement Valls, a de quoi inquiéter la main-d’œuvre hexagonale. « Les Chinois ont mis les pieds dans l’usine. Ils vont virer les syndicats, comme en Grèce, où ils ont racheté la moitié du port du Pirée », s’alarme l’ex-employée maison Sylvie. Un tantinet alarmiste ? Impossible n’est pas chinois. [/access]

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*Photo : DR.

Septembre 2015 #27

Article extrait du Magazine Causeur



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