Henri Guaino a-t-il le droit de critiquer un juge?


Henri Guaino a-t-il le droit de critiquer un juge?

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Résumé des épisodes précédents : Pour avoir qualifié la mise en examen de Nicolas Sarkozy de décision « grotesque », « insupportable », « irresponsable », « intolérable » et déclaré que le juge Jean-Michel Gentil avait « déshonoré la justice » sur différentes antennes, dans la semaine du 22 au 28 mars 2013 , Henri Guaino répondait hier aux accusations d’outrage à magistrat et d’atteinte à cl’exercice de la justice.

Les décors ne sont pas signés Roger Harth, ni les costumes Donald Cardwell.

Personnages :

– Henri Guaino, député UMP des Yvelines et ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy.

– Me Dupond-Moretti, avocat du précédent.

– Christophe Regnard, ancien président de l’Union syndicale de la magistrature (USM).

– Me Barouse et Me Forster, avocats du juge Jean-Michel Gentil.

– Présidente du tribunal Anne-Marie Sautereau

– Procureur

– Un bretteur échevelé, l’Union des étudiants juifs de Jérusalem-Ouest, Pierre Panet : parties civiles signataires d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité[1. Réforme introduite sous la présidence de Nicolas Sarkozy pour permettre au citoyen d’interpeller les Sages à partir d’une affaire de droit.]

Décor : Sous les boiseries de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Des dizaines de journalistes assistent à l’audience dans une salle remplie de députés UMP venus soutenir Henri Guaino : Marc Le Fur, Julien Aubert, David Douillet, Valérie Boyer, Jacques Myard, Alain Marsaud, Patrick Ollier, l’ancien magistrat Georges Fenech.

Verbatim sélectif :

La présidente du tribunal ouvre la séance. Un sexagénaire échevelé ouvre le débat préliminaire, à la grande colère du procureur et des avocats du juge Gentil, furieux de voir l’audience « prise en otage par ces personnages » hauts en couleurs. Me Dupond-Moretti fulmine contre ces parties civiles, « adeptes de la quenelle », dont le conseil « couvre l’antisémitisme sur Youtube ». L’un des signataires d’une QPC, adressée au Conseil constitutionnel, porte une canne. Il s’appelle Pierre Panet et sa résidence est sise théâtre de la Main d’Or, chez Dieudonné.  L’échevelé traite Dupond-Moretti d’« avocat des assassins » puis interroge la « légalité constitutionnelle des syndicats de magistrats ».

Le conseil d’Henri Guaino lâche : « On est chez les dingues là ! »  puis quitte la salle avec son client.

L’avocat du juge Gentil invite à « sanctionner ce genre d’interventions parasites ».  La présidente annonce l’examen de la Question Prioritaire de Constitutionnalité le 25 novembre.

Henri Guaino et son conseil réapparaissent. L’accusé prend la parole à la barre : « Ce n’est pas un procès comme les autres. Nous sommes venus débattre d’une question politique, au sens le plus noble du terme : la liberté d’expression d’un représentant de la nation ». Sans aller trop loin dans l’emphase, Guaino invoque « la démocratie, la République, le pays des droits de l’homme », et proclame sobrement que « toutes les tyrannies sont à combattre, même les tyrannies judiciaires ». Paradoxalement, le gaulliste canal historique s’appuie sur une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), laquelle avait sanctionné la France après la condamnation par nos tribunaux de l’injurieur de Nicolas Sarkozy (affaire du « Casse-toi pauvre con ! »). Guaino excipe de son immunité parlementaire, puisqu’il a tenu à l’Assemblée les mêmes propos que ceux incriminés : « L’exercice du mandat parlementaire s’arrêterait-il à l’hémicycle ? Cela ne tient pas debout ! » Sur le fond de l’affaire Sarkozy-Bettencourt, Henri Guaino rappelle que le juge Gentil a fini par rendre un non-lieu en octobre 2013, confirmant ainsi son « erreur de jugement ». Au nom du « droit imprescriptible à l’indignation et à la critique », il se défend de toute pression sur la justice. Autant que faire se peut, le député souverainiste allergique aux instances supranationales aimerait ne pas être amené à plaider sa cause devant la CEDH.

Me Forster, avocat du juge Gentil, l’interroge. Une petite leçon de droit attend Henri Guaino : « Quelle définition donnez-vous à l’outrage ? » Guaino cite le député républicain Julien Fabre : « L’outrage, cela se ressent mais cela ne se définit pas », avant de préciser que ce chef d’accusation doit être laissé à l’application arbitraire du juge. Il cite l’exemple du « mur des cons » du Syndicat de la magistrature, sur lequel il trônait. Rappelle à l’avocat de la principale partie adverse que 105 députés ont signé une pétition revendiquant les mêmes propos. Pourquoi ne sont-ils pas poursuivis ? Henri Guaino donne du « Madame le président », ce qui a le don d’amuser Julien Aubert et les autres bancs de l’UMP.

Mais l’interro de droit continue.

Le conseil du juge Gentil : « Savez-vous ce qu’est un abus de liberté ? »

Et Guaino de répliquer : « Et un abus de pouvoir ? Je préfère la caricature à la censure. Je revendique mon droit à l’indignation, à la polémique »

L’avocat : « Et à l’outrage ? »

Guaino : « Je ne sais pas ce qu’est un outrage, je sais ce qu’est une diffamation. »

Me Dupont-Moretti vole au secours de son client avec sa faconde habituelle : « Vous parlez d’impartialité. Or, le juge Gentil avait signé un brûlot antisarkozyste dans Le Monde quelques jours avant la saisie des agendas de Nicolas Sarkozy. Et l’intégralité du procès-verbal de son audition s’est retrouvée étalée dans Sud-Ouest, en violation du secret de l’instruction. Du jamais vu en France ! Six jours après le non-lieu de Sarkozy, Libération et L’Express expliquaient que le juge Gentil avait « dealé » cette décision contre le maintien de la procédure. Mais les journalistes n’ont pas été assignés en justice ! On craint peut-être qu’ils donnent leurs sources… »  En revanche, contre Guaino, l’Union syndicale de la magistrature a déposé une dénonciation au procureur de la République. Me Dupond-Moretti explose : des juges engagés politiquement poursuivent pour injures et outrage ceux qui les critiquent, « ça ne peut pas être aussi asymétrique ! »

Guaino renchérit : « La délation est quelque chose d’assez inquiétant. »

Arrive Christophe Régnard, président de l’USM au moment des faits, ennemi intime de Me Dupond-Moretti. L’homme à l’origine de la procédure prête serment. « Les propos insupportables tenus (par Henri Guaino) excèdent tout ce qu’on était accoutumé à entendre depuis quelques années. Trop c’était trop ! » – alors même que les critiques contre le fonctionnent de la justice se font incessantes. « Dans une République, les personnes qui rendent la justice doivent être respectées ! », sans quoi les magistrats se trouvent de facto mis sous pression. Interrogé par Me Dupond-Moretti, le juge Régnard s’offusque sans se départir de son calme : « Les noms d’oiseaux sont en train de fleurir ! Henri Guaino m’a traité de délateur ! »

Dans le public, David Douillet, député UMP de son état, murmure : « Susceptible, le mec ! »

L’ancien dirigeant de l’USM reprend le fil de son argumentaire. Il met en balance « le respect dû aux magistrats, à la justice, aux personnes qui servent l’Etat » avec le principe constitutionnel de liberté d’expression, lequel souffre heureusement de quelques exceptions, notamment en cas de propos antisémites, racistes ou incitant à la discrimination. Christophe Régnard attend une jurisprudence de ce procès. Les oreilles d’Henri Guaino sifflent.

Me Dupond-Moretti : « Merci pour ce cours de droit ! » Et l’ancien avocat d’Outreau d’égrener les exemples notoires de collusion entre juges, politiques et médias, de Manuel Valls regrettant une décision de justice sur Baby-Loup à Isabelle Prévost-Desprez, cette magistrate qui adressait des SMS à un journaliste de ses amis en pleine perquisition chez Liliane Bettencourt. L’USM n’a pas dénoncé ces actes au procureur, que l’on sache ! » Par le passé, M. Régnard a plusieurs fois insinué que les juges de la Cour de cassation pouvaient être soupçonnés de proximité avec le pouvoir politique en raison de leur mode de nomination. N’est-ce pas un préjudice porté à des magistrats, voire un outrage ?

Christophe Régnard : « Quel rapport avec ma comparution ? C’est le procès de M. Henri Guaino, pas celui de la justice et de la magistrature. »

Me Dupond-Moretti : « Vous attaquez les uns et pas les autres, c’est la ligne bleue des Vosges votre syndicat ! »

De son box, l’avocat du juge Gentil s’indigne : «  La salle réagit parfois comme si on était au spectacle »

Dupond-Moretti relativise : « On n’est pas dans un crime de sang non plus ! »

La présidente lui reproche de poser vingt fois la même question à l’ex-président de l’USM.

L’ancien président de l’USM décrit les différences entre une critique technique d’un jugement, parfaitement acceptable, voire une demande de révision et une critique violente, telles que les sorties d’Henri Guaino contre le juge Gentil.

Guaino : « Abracadabrant ! Vous soutenez que tout ce qui n’est pas autorisé doit être interdit ! »

L’audience est suspendue 5 minutes. Au bout d’un quart d’heure, l’ensemble des parties civiles sont invitées à parler. Pierre Panet, proche de Dieudonné, demande 60 euros d’indemnités à Henri Guaino, à verser sur son compte propre, sans que l’on comprenne pourquoi. Une avocate à l’élocution difficile prend la parole au nom de trois parties civiles, dont l’Union des étudiants juifs de Jérusalem-Ouest. Inaudible.

Le procureur rit sous robe. De son banc, Douillet s’afflige : « C’est lamentable ! » Entre Ionesco et Beckett, le spectacle produit par la Question prioritaire de Constitutionnalité montre les joies de la pseudo-démocratie directe…

C’est à l’avocat  de « la vraie partie civile » – alias le juge Gentil – d’intervenir. Il regrette l’absence de mea culpa et de la moindre contrition chez Henri Guaino, dont il relève « l’aspect psychanalytique » des attaques répétées.

Me Dupond-Moretti : « C’est pas injurieux, ça ? »

Le conseil pérore : « Monsieur Guaino n’est pas le Dreyfus de la liberté d’expression ! » afin de demander 100 000 euros d’indemnisation à titre de préjudice moral, en sus de quelques dommages et intérêts. « Ne jouez pas le Ponce Pilate qui se lave les mains » des conséquences de son acte.

Les références historiques fusent, et il se trouve même un autre avocat des partie civiles pour citer Guy Debord… Appuyant les chefs d’accusation de l’USM et du juge Gentil, le procureur ne requiert que 3 000 euros d’amende contre Henri Guaino.

La prochaine représentation est annoncée pour le 27 novembre. À suivre…

*Photo : WITT/SIPA. 00688053_000012.



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