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Géorgie : l’erreur de l’Occident


Géorgie : l’erreur de l’Occident

L’Europe est toute nue face aux Russes en Géorgie et les éditeurs de Causeur s’en étonnent et je m’étonne de leur étonnement. L’Europe politique, diplomatique, militaire est un ectoplasme, un zombie. Vous avez entendu parler d’une souveraineté européenne ? Et privée de souveraineté, que voulez-vous qu’elle fasse, la pauvre ? A part M. Trichet, je ne repère personne en Europe qui soit habilité à parler avec M. Poutine et, vu qu’il est raide comme un lacet, le patron de la BCE ne penserait qu’à tendre la sébile devant les lingots de pétrole poutiniens. Medvedev a marchandé le cessez-le-feu avec Sarkozy de France, pas avec Sarkozy d’Europe et c’est la France qui s’est fait bananer, pas l’Allemagne. On a, à Bruxelles, un machin commercial, monétaire, philosophique, qui ne fonctionne pas trop mal à la satisfaction presque générale, on n’a pas à se plaindre, pourvu que ça dure. Mais il ne faut pas envoyer à la guerre un représentant de commerce. Si sympa soit-il, il ne sera pas pris au sérieux. Medvedev a reçu Sarko et, comme on dit chez moi, il lui a passé la datte sans beurre et sans même que Sarko s’en aperçoive. Fallait s’y attendre, le petit Saakashvili, il s’est tout encoléré. On lui a fait le coup de Prague et Sarko dit aux Russes : c’est pas grave, mais n’y allez pas trop fort quand même.

Ce qui s’est passé en Géorgie, c’est terrible d’abord pour la Russie. Le bon peuple moscovite, il bichait comme au football en regardant les images d’Ossétie. Les Géorgiens, déjà on ne peut pas les voir. A Saint-Pete, les houligans tabassent dans la rue les Caucasiens (quels qu’ils soient on les appelle les Noirs) rien que pour le fun. Ils filment leurs exploits et se les partagent sur le net. Quand Poutine a flanqué une raclée à l’une des contrées caucasiennes, c’était tout comme un lynchage ordinaire ou une médaille d’or à Pékin, ça s’arrose. Sur le front intérieur, la guerre a fait un tabac et donné à l’Etat-KGB encore plus de couleurs qu’il n’en avait.

Mais tous les autres, tous ceux qui grouillent derrière le regretté rideau de fer, des Tchèques aux Kirghizes, depuis le 8 août, ils balisent à mort, ils l’ont à zéro. Pensez. Depuis vingt ans, pépères ils étaient, l’Armée Rouge avait rendu l’âme, plus d’expéditions de Budapest, de Berlin ou de Prague. Et voilà que le cauchemar revient. L’avez-vous remarqué : aucun gouvernement n’a applaudi, pas même poliment, aux exploits russes en Géorgie. Pas une voix. La Russie, seule au monde. Il est vrai que, dès le 10 août, Raul Castro a apporté le soutien de Cuba à l’action militaire russe, mais il a fallu attendre une semaine pour que le caniche biélorusse se fende d’un communiqué de sympathie pincé. Suivi de notre ami Bachar el Assad. Lequel, en échange de ses félicitations, espère recevoir des missiles anti-fusées supposés lui assurer un triomphe contre Israël. C’est tout. Pas même les Kazakhs ni les Turkmènes, clients fidèles de Poutine, n’ont bronché. La Russie est seule au monde et fait peur à la terre entière.

Tous se foutent de la Géorgie mais se disent : et si c’était pour moi la prochaine tannée. Chacun n’a plus qu’une idée : trouver un protecteur. Avec une maestria de virtuose, Poutine a réussi en un clin d’œil à infiltrer dans le cerveau de tous ses voisins le besoin impératif d’une OTAN anti-russe. Que ni l’Amérique, ni personne n’a d’ailleurs les moyens de mettre en place. Vous brûlez de mourir pour la Kirghizie ou le Tadjikistan vous ? Pas moi.

Avant la guerre de Géorgie, je me disais, avec bien d’autres, que l’adhésion à l’OTAN de la Pologne était bien superflue et ne servait qu’à braquer Moscou. Je ne le pense plus du tout. Les chimpanzés du Kremlin m’ont démontré qu’ils sont capables de toutes les conneries. Je suis persuadé maintenant que la prochaine victime sera l’Ukraine, en Crimée et d’abord à Sébastopol. En Tchétchénie, j’estimais que la Russie jouait son existence. Même si elle y est allée avec de gros sabots, en raison de la nullité de son armée, elle avait quelques bonnes raisons de liquider les djihadistes. La Géorgie, c’est une toute autre histoire. Le FSB nous dit : les frontières, je m’en cogne. Le premier qui me contrarie, je lui envoie deux mille chars. Alors, forcément, si même à Paris, j’ai les chocottes, les Ukrainiens, vous imaginez.

A part la datte à Sarko et le sourire des moujiks, qu’est-ce qu’elle y a gagné la Russie ? Nada, des nèfles. Elle s’est mise tous ses voisins à dos, point. Parmi ses frontaliers, elle en compte deux qui pèsent des tonnes : la Chine et les USA. Et, dans l’état d’anémie où elle traîne, elle a tout à craindre de bisbilles avec eux. Je m’explique.

Septembre 2008 · N°3

Article extrait du Magazine Causeur



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Guy Sitbon, ex-journaliste au Nouvel Obs, est chroniqueur à Marianne.

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