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Fresnes: du pénitentiaire ou du ludique?


Fresnes: du pénitentiaire ou du ludique?
Eric Dupont Moretti à la prison de Fresnes, le 7 juillet 2020 © ISA HARSIN/SIPA

Un point de vue plus élaboré sur cette polémique qui, au-delà de Fresnes, est très éclairante sur la conception que chacun a de l’enfermement, de ses contraintes et de ses droits.


Il paraît que cette journée singulière (organisée par le directeur de l’établissement de concert avec l’association Kohlantess spécialisée dans ce type de divertissements à usage carcéral) avait été validée par le ministère de la Justice et le cabinet du garde des Sceaux, de sorte que ce dernier ayant ordonné une enquête administrative se serait en quelque sorte incriminé (Ouest-France).

Le ministre a démenti en affirmant qu’il n’avait jamais été informé de ces péripéties qui auraient relevé de la seule initiative du directeur et de l’association, et qu’il aurait mis son veto à la course de kart.

Le rapport qui lui a été remis pointerait des failles et des responsabilités dans le processus des prises de décision et mettrait hors de cause le ministre et son cabinet, la Chancellerie n’ayant validé que l’annonce d’une « compétition sportive » (mais sans karting). Pourtant, selon le Canard enchaîné, le contrat dont il est question incluait bien le karting. À dire vrai, dans tous les cas, je voyais mal l’administration cibler le ministre qui l’avait saisie. On est en France !

Même si sa première visite de garde des Sceaux avait été consacrée à des détenus – qui avaient ovationné l’avocat -, on espère que ses dénégations et sa défausse sur le directeur sont exactes. Du reste, il était absurde de lui reprocher de courir après l’extrême droite alors qu’il la hait sans la moindre équivoque ni même décence parlementaire. Bien sûr, tous ceux qui le critiquent relèveraient de la fachosphère. On voit ainsi que le garde se met confortablement à l’abri !

Il n’empêche que ses déclarations sur le double rôle de la prison – sanction et réinsertion – et son souci de conditions dignes pour les condamnés et les surveillants sont louables. Je constate avec plaisir qu’il annonce de nouvelles prisons après avoir dénoncé dans une autre vie leur prétendu caractère criminogène ! Mais il prétend n’avoir pas changé d’un iota ! La gauche et l’extrême gauche, quant à elles, sont ridicules en cherchant à tout prix à défendre des provocations festives offensant le commun des citoyens et sans le moindre rapport avec la finalité de l’enfermement. La contrôleuse des prisons, se caricaturant elle-même, souligne qu’il est bien normal que les prisonniers se détendent un peu et que ce qui est le plus grave se rapporte à l’indignité des prisons et des modalités d’incarcération.

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Pourtant la ligne de partage entre le pénitentiaire et le ludique devrait être claire et elle est facile à déterminer.

À supposer que la réinsertion de la plupart soit possible, il faut mettre en avant tout ce qui pourra la favoriser : école, formation, culture, activités professionnelles. Et évidemment éliminer tout ce qui n’a aucun rapport avec elle et confortera le détenu dans la conviction que ce qu’il a accompli est bénin. À l’évidence le kart, la piscine et le tir à l’arc sont des superfluités choquantes.

Je ne crois pas non plus, pour tous les condamnés, à l’obligation d’éviter « les sorties sèches ». Il en est un certain nombre pour qui l’exécution totale de la sanction est nécessaire. Contre l’humanisme naïf, ce n’est pas parce qu’un délinquant ou un criminel ont été condamnés qu’ils redeviennent acceptables. Aucune raison de favoriser un système privilégiant les libérations avant l’échéance alors que la douleur, le chagrin, le traumatisme des victimes ou de leurs familles ne connaîtront jamais de répit.

Rappelons quelques évidences.

La société n’est pas l’instigatrice des crimes et des délits, mais leurs auteurs, dont la liberté et la responsabilité peuvent être judiciairement atténuées mais jamais discutées. C’est les infantiliser et presque les mépriser que de les priver de l’honneur d’avoir prise sur son existence. Les citoyens n’ont pas à s’excuser d’avoir enfermé la malfaisance. La conséquence est qu’on n’a pas à consoler les détenus de leur incarcération. Ils la méritaient. On n’a pas non plus à oublier que, s’il convient de restaurer la dignité matérielle et humaine de beaucoup de lieux d’enfermement pour les gardiens comme pour les prisonniers, cette exigence ne signifie pas cependant que tout doit être permis et que par faiblesse on soit tenté de tolérer les conduites les plus transgressives jusqu’à ces établissements où les prisonniers font littéralement la loi.

Il est triste de devoir récuser l’utopie d’un monde sans prisons où elles deviendraient inutiles, paraît-il, à cause des peines alternatives ou de substitution. Cette chimère serait le moyen le plus redoutablement efficace pour rendre la France encore plus à feu et à sang qu’elle n’est.

J’ai craint d’emblée que cette polémique relègue l’essentiel au second plan : construire vite de nouvelles prisons, réparer celles qui en ont besoin, éviter le ludique qui n’élève ni l’âme ni l’esprit, avoir une saine conception pénitentiaire qui doit à mon sens faire passer l’application de la sanction avant le souci de la réinsertion, se dispenser de toute mauvaise conscience singulière et collective. Espérons que Fresnes n’aura pas indigné la multitude au point de rendre vaine toute réforme pénitentiaire qui serait pourtant compatible avec notre protection.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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