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France de droite, vote à gauche


France de droite, vote à gauche

Après avoir été le premier, le plus constant et le plus farouche des opposants à Nicolas Sarkozy, Jean-François Kahn affirme dans son dernier livre[1. La Catastrophe du 6 mai 2012, Jean-François Kahn, Plon.] que le 6 mai 2012 a été une « catastrophe ». En effet, selon lui, au moment où la gauche a politiquement tout raflé, du canton à l’Élysée, elle a perdu son hégémonie culturelle et idéologique.

Gil Mihaely. Selon vous, la gauche a arithmétiquement gagné les élections, mais la France reste ancrée à droite…
Jean-François Kahn. C’est simple : après le premier tour de l’élection présidentielle, les gauches avaient recueilli 44% des suffrages et les droites 48% !

S’agissait-il d’adhésion à des visions politiques ou à des personnalités ?
Cette élection traduit incontestablement le rejet de Sarkozy plus qu’une adhésion au projet politique de la gauche. Et malgré ce rejet massif, Hollande n’a gagné que sur le fil du rasoir.[access capability= »lire_inedits »] Si Marine Le Pen avait voulu choisir entre la peste et le choléra, en choisissant de faire barrage à la gauche malgré tout le mal qu’elle pense de Sarkozy, et si Bayrou s’était abstenu ou avait voté blanc, Sarkozy aurait incontestablement pu gagner.

La « catastrophe », à vous lire, est que la gauche croit avoir gagné sur le fond…
Si les socialistes pensent vraiment que leurs idées ont été plébiscitées, ils se trompent lourdement. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que la gauche a perdu son hégémonie culturelle et idéologique au moment même où, politiquement parlant, elle a tout raflé : du canton jusqu’à l’Élysée en passant par les mairies, les départements, le Sénat et l’Assemblée nationale, toutes les institutions sont entre ses mains !

Mais alors, qu’est-ce qui vous fait dire qu’idéologiquement et culturellement, la France est passée de gauche à droite ?
Sur les questions économiques et sociales, la France est majoritairement à gauche. Pour aller vite, les Français restent profondément attachés à un modèle social égalitaire fondé sur un État fort et des services publics développés. En revanche, pour tout ce qui concerne les mœurs et ce qu’on appelle les « valeurs », c’est-à-dire le travail, la famille, l’assistanat, les frontières, la nation, l’immigration et les traditions, le basculement à droite est tout à fait net. Autrement dit, la France a rompu avec ce qu’on peut appeler l’« esprit 68 », qui avait été ultra-dominant pendant des décennies − domination excessive qui explique en partie le retour de balancier. La gauche doit reconnaître cette formidable transformation psychologique et culturelle. Si elle refuse de regarder cette réalité en face, ce sera effectivement une catastrophe.

En ce cas, pourquoi la prétendue droitisation de la campagne de Sarkozy a-t-elle fait problème ?
D’abord, il faut reconnaître cette droitisation, patente pendant l’entre-deux tours, que certains ont pourtant niée. Aujourd’hui, c’est un fait incontestable au sein même de l’UMP.

Ce que vous appelez « droitisation » ne consiste-t-il pas à prendre en compte les angoisses identitaires des Français ?
Cela va bien au-delà de ça : Sarkozy avait érigé la frontière en principe. Dans son discours de Toulouse, il voulait en mettre partout : entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le beau et le laid.

Il critiquait le relativisme, et alors ?
Entre le relativisme et le stalinisme, il y a quand même de la marge ! Pour moi, la logique binaire que Sarkozy a introduite dans le débat, c’est du stalinisme pur. Mais on n’a pas à choisir entre la démocratie et l’anarchie, le relativisme et le stalinisme, moi et l’ennemi… La réalité est toujours plus complexe. La décrire en noir et blanc, c’est se condamner à ne jamais la voir.

« Stalinien » et « pétainiste », comme vous l’avez déclaré durant la campagne ?
Oui, j’ai qualifié la rhétorique sarkozyste, notamment dans l’entre-deux tours, de « pétainiste », et ceci malgré mon exaspération devant la multiplication des références aux années 1930, au fascisme et à Hitler pour diaboliser l’adversaire. La reductio ad hitlerum est un procédé absurde et insupportable, un authentique terrorisme intellectuel dont j’ai moi aussi été victime. Dans Le Voyou de la République, j’écrivais que Sarkozy n’était ni pétainiste, ni raciste, que ce n’était qu’un voyou, un homme capable de dire n’importe quoi pour gagner ! Pour autant, il ne faut pas s’interdire de parler de pétainisme quand on pense que c’est vrai ! J’ai le droit d’appeler un communiste « communiste », un trotskiste « trotskiste » et un stalinien « stalinien ». Dans les thèmes qui ont resurgi pendant la campagne, en particulier pendant l’entre-deux tours, on reconnaissait clairement l’influence rhétorique de Patrick Buisson, inspiré par l’idéologie maurassienne, donc par une forme de pétainisme ! Je ne vois pas au nom de quel terrorisme intellectuel je n’aurais pas le droit de le dire. Je précise qu’il ne s’agit que de rhétorique : évidemment, Sarkozy ne pense pas un mot de ce qu’il disait alors.

Bien sûr, vous avez le droit de le penser et de le dire, mais on aimerait que vous le démontriez. Quels sont précisément les propos du président qui relèvent de l’accusation de « pétainisme » ? Vous n’allez tout de même pas lui reprocher d’avoir parlé de travail, de famille et de patrie ? Pas vous !
On a parfaitement le droit de se réclamer du travail, de la famille et de la patrie, ce que je fais d’ailleurs, et plus vigoureusement que lui. Pour répondre à votre question, je dirai d’abord que, contrairement à certains, je ne crois pas que Sarkozy, entre les deux tours, se soit aligné sur le FN, et cela pour deux raisons : d’abord, le discours de Marine Le Pen inclut une dimension sociale et étatiste que ni Sarkozy ni l’UMP n’ont reprise à leur compte ; mais surtout, Sarkozy a remis en cause les corps intermédiaires, notamment les assemblées locales élues et les syndicats. Et ça, Marine Le Pen n’a jamais osé faire ! Et elle n’a pas non plus eu l’audace d’opposer le « vrai travail » au faux ! Enfin, quand Sarkozy en appelle à la vérité et à l’authenticité des terroirs contre les villes et les intellectuels pervertis − un discours pour le coup vraiment pétainiste −, Marine Le Pen n’y est pour rien ! Elle le pense peut-être − je n’en sais rien − mais elle ne l’a jamais dit.

Dans ces conditions, il est absurde d’accuser Sarkozy d’avoir fait le lit de Marine Le Pen et du FN …
C’est tout à fait juste. Et j’ajoute que, si les députés de la Droite populaire sont sur la même ligne que le FN sur les questions d’immigration, de sécurité et de valeurs, voire − comme Jacques Myard et Lionnel Luca − sur l’Europe et l’euro, ils s’opposent aux positions économiques et sociales du FN mariniste, dont le positionnement est bien trop à gauche à leur goût. Disons les choses comme elles sont : la Droite populaire est tout simplement à la droite du FN !

Est-ce pour cette raison qu’un certain nombre de ses députés ont perdu leur siège, comme on l’a entendu dire, y compris à l’UMP ?
Ceux qui croient cela se trompent. L’échec de plusieurs députés de la Droite populaire n’a rien à voir avec un quelconque rejet de leurs idées par les électeurs. J’irai plus loin : je ne m’y attendais pas, mais le discours que je qualifie de « pétainiste », non seulement n’a pas nui à Nicolas Sarkozy, mais lui a en fait permis de gagner 3 points entre les deux tours de la présidentielle. C’est un fait incontestable. J’ajoute qu’au premier tour des législatives, alors que la logique était de donner une majorité au président fraîchement élu, la droite a une nouvelle fois devancé la gauche ! La représentation nationale ne reflète pas cet état de fait à cause de notre mode de scrutin, mais c’est ainsi.

Si la France est plutôt à droite sur le plan des valeurs, pourquoi était-il condamnable de faire campagne à droite ?
La fin justifie-t-elle tous les moyens ? Que ce discours très droitier ait permis à Nicolas Sarkozy de remonter presque jusqu’à la victoire ne le rend pas plus acceptable à mes yeux. Or, pour Sarkozy, l’efficacité est le seul critère qui vaille. Sans faire de comparaison simpliste, je vous rappelle qu’Hitler a obtenu 43% des voix en 1932, car il avait trouvé le bon discours. Quand un responsable politique a comme seule ligne de conduite politique de s’adapter à ce que les électeurs veulent entendre, il y a danger !

Je vous abandonne volontiers cette comparaison que vous ne faites pas… Mais si Sarkozy ne pensait pas ce qu’il disait, que pense-t-il ? Il est de gauche, peut-être ?
En tout cas, il n’a jamais été ni de droite, ni vichyste, ni pétainiste, ni libéral. D’un point de vue purement utilitariste, son discours marchait, donc il était bon. Mais si on raisonne ainsi, que fait-on après ? Quelle politique mène-t-on ? Il me semble que la politique consiste tout de même à se demander ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

En 2007, Sarkozy était franchement libéral : il parlait de valeurs, mais aussi de bonne gestion et d’efficacité. Et il a gagné !
Exactement ! C’est bien la preuve qu’il est un excellent acteur capable de porter plusieurs discours différents. Cela dit, pendant cette campagne, il était le seul qui pouvait paraître crédible en défendant la ligne droitière que nous avons décrite. Les mêmes mots, mais prononcés par Fillon par exemple, auraient eu beaucoup moins d’impact. Cela dit, au-delà même de la question de ce qui est juste ou non, un discours utilitariste, électoraliste pose un autre problème, qui est que dire n’est pas faire. En 2007, Sarkozy a promis une autre politique migratoire et une autre politique sécuritaire. Résultat : il augmente l’immigration !

Ah bon, et d’où sortez-vous ça ? Je croyais que la France menait une politique inhumaine d’expulsions…
Je parle de l’immigration légale. En 2002, à la fin de l’ère Jospin, il y avait 120 000 entrées légales par an. Une décennie plus tard, il y en a 230 000. Quand Brice Hortefeux était ministre de l’immigration, il a établi, sous la pression de l’aile la plus conservatrice du patronat, une liste de 60 ou 70 métiers dans lesquels la France, paraît-il, avait besoin d’immigrés. Et bien sûr, cela se sait en Afrique et ailleurs. Du coup les gens tentent leur chance. À l’arrivée, on encourage l’immigration clandestine.

Prétendez-vous qu’Hortefeux a sciemment encouragé l’immigration clandestine ?
Mais non ! Pour le coup, Hortefeux a fait ce que Nicolas Sarkozy avait annoncé : une immigration choisie, donc une immigration de travail. Sauf que les gens qui ont voté pour lui avaient entendu autre chose : ils adhéraient à son discours anti-immigrationniste.

Et sur la sécurité, son bilan est-il aussi nul qu’on le dit ?
C’est un peu la même histoire. Attention, il ne s’agit pas d’être dans un anti-sarkozysme systématique….

C’est mal imité !
Mais non ! Nicolas Sarkozy a fait certaines choses avec lesquelles je suis en désaccord, mais je ne lui ai pas reproché de mettre en œuvre ses idées ou ses promesses, puisqu’il avait été élu pour ça. Et j’ai même approuvé l’instauration de l’autonomie des universités et la réforme des régimes spéciaux de retraite. Mais je reviens à la sécurité : la suppression de la police de proximité a été une grave erreur. Il fallait sûrement la réformer, peut-être la muscler, mais certainement pas la supprimer pour la remplacer par des corps d’intervention qui viennent de loin en faisant beaucoup de bruit une fois que la situation sur le terrain est déjà dégradée. En réalité, l’immigration et la sécurité sont les deux échecs majeurs de Nicolas Sarkozy. Et s’ils n’expliquent pas sa défaite à eux seuls, ils y ont grandement contribué.

Pourtant, la gauche a surtout attaqué son bilan économique et social…
Oui, et elle a eu tort de rendre Sarkozy responsable de la casse sociale. Il n’a pas opprimé la classe ouvrière, ni fait reculer le pouvoir d’achat − qui a d’ailleurs, modestement, augmenté pendant son quinquennat. Il n’a pas mené de politique d’austérité, ce qu’on peut d’ailleurs lui reprocher. En revanche, il a porté atteinte aux PME, aux artisans et aux petits commerçants. Si on ajoute l’immigration et la sécurité, déjà évoqués, la conclusion est qu’il s’est planté sur tous les sujets importants pour sa base électorale. C’est cela, pas la droitisation en tant que telle, qui a ouvert un boulevard à Marine Le Pen.[/access]

La suite demain…

*Photo : fondapol

Juillet-août 2012 . N°49 50

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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