Accueil Politique Affaire Fillon: « les journalistes jouissent d’avoir le premier rôle »

Affaire Fillon: « les journalistes jouissent d’avoir le premier rôle »


Affaire Fillon: « les journalistes jouissent d’avoir le premier rôle »
François Fillon, 21 février 2017
François Fillon, 21 février 2017

L‘affaire Fillon

« Imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen ? » a dit François Fillon au début de sa campagne. Cette phrase qui visait à discréditer un Nicolas Sarkozy plombé par les affaires m’a scandalisé pour trois raisons : elle faisait bon marché de la présomption d’innocence ; elle transformait De Gaulle en personne de bibliothèque rose : De Gaulle c’était l’association de la grandeur et de la raison d’État, de l’appel du 18 juin et des basses œuvres de Foccart ou de Charles Pasqua. Certes, il payait son électricité et les déjeuners auxquels il invitait ses collaborateurs, mais à son machiavélisme politique, la justice des anges qui règne aujourd’hui trouverait sans nul doute à redire. Last but not least, François Fillon, en parlant ainsi, transgressait le principe de la séparation des sphères. Au lieu de préserver la spécificité du domaine politique, il l’inféodait au judiciaire en demandant à celui-ci d’arbitrer ses litiges. Apprenant qu’il a, seize ans durant, salarié sa femme comme attachée parlementaire alors même que celle-ci s’est toujours présentée comme une femme au foyer, et qu’il a payé deux de ses enfants encore étudiant pour des missions imprécises, je me suis donc remémoré, comme d’autres, ce vieux proverbe africain : « Quand on monte au cocotier, il vaut mieux avoir le cul propre ! »

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J’aurais aimé cependant qu’avant d’exiger la mise à mort politique de François Fillon, on se pose la question suivante : la France s’en sortira-t-elle mieux sans lui qu’avec lui ? Il était, l’autre soir, en meeting à Charleville-Mézières et il a fait, contre vents et marées, un discours politique. J’en retiens deux passages : « De faiblesses en abandons, de renoncements en compromis, nous avons laissé proliférer des zones de non-droit. Désormais dans bien des lieux, les règles salafistes semblent prendre le pas sur les lois de la République. Cela n’est pas tolérable, cela ne sera pas toléré. Si le prochain président de la République ne met pas un coup d’arrêt à la progression du fanatisme, je vous le dis : la France entrera dans une nouvelle période sombre de son histoire. » Second cri d’alarme : « L’école était le creuset de la République, elle en est désormais le caveau. Obsédés par leur furie égalitariste, nos idéologues de l’éducation ont tout simplement oublié que l’école était là pour transmettre des connaissances. Notre école nivelle les intelligences, rabaisse les mérites, étouffe les talents, accroît les handicaps culturels et sociaux, au nom d’une conception dévoyée de l’égalité. Elle empêche l’élévation des meilleurs élèves, surtout s’ils sont issus des milieux les plus modestes. »


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Qu’y a-t-il aujourd’hui de plus urgent que de réparer la fracture française et que de sauver l’école ? Et quel autre candidat parle ainsi ? Mais peu importe aux journalistes : ils se délectent de voir les affaires judiciaires prendre le pas sur les affaires communes car c’est pour eux l’occasion d’exercer et d’étendre encore leur pouvoir. Ils se veulent les représentants de l’exigence citoyenne, en fait, ils jouissent d’avoir le premier rôle et cette jouissance a quelque chose d’obscène. « Autrefois, écrit Kundera dans L’Immortalité, être journaliste signifiait[access capability= »lire_inedits »] s’approcher plus que tout autre de la vie réelle, fouiller ses recoins cachés, y plonger les mains et les salir. » La situation a changé. Le questionnement n’est plus la méthode de travail du reporter poursuivant humblement une enquête le calepin à la main, mais bien une façon d’exercer le pouvoir : « Le journaliste n’est pas celui qui pose des questions, mais celui qui détient le droit de les poser à n’importe qui sur n’importe quel sujet. » Bien sûr, nous avons tous ce droit : la question est une passerelle de compréhension jetée de l’homme à l’homme. Alors Kundera précise : « Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question mais sur le droit d’exiger une réponse. » « Répondez ! » disent Edwy Plenel, Jean-Michel Aphatie, Gérard Davet, Fabrice Lhomme et les reporters d’Envoyé spécial qui sont allés coincer à Sablé-sur-Sarthe les employés de François Fillon pour les sommer de sortir de leur silence. « Répondez ! », c’est le onzième commandement.

La mise en œuvre de ce commandement flatte le ressentiment démocratique contre les détenteurs de pouvoir. Ils ont beau avoir été élus, leur primauté apparaît comme une insulte à l’égale dignité des personnes. Ils sont donc l’objet d’une défiance permanente. Cette défiance conduit certains réformateurs audacieux à vouloir équilibrer le vote par le tirage au sort. Je propose d’aller plus loin et de fonder la VIe République sur la généralisation du tirage au sort. Une fois les résultats connus, les journalistes vedettes du onzième commandement se réuniraient en conclave, examineraient les dossiers et choisiraient le plus pur, le plus transparent pour présider nos destinées. Alors s’élèverait une fumée blanche, puis l’élu(e) apparaîtrait au balcon, tendrait les bras et s’offrirait à la France.

Le procès Bensoussan

Des propos tenus lors de l’émission Répliques du 10 octobre 2015 ont valu à Georges Bensoussan de comparaître devant la 17e chambre correctionnelle pour provocation à la haine raciale. J’ai réécouté l’enregistrement la veille de l’audience et, comme je l’ai dit à la barre, le débat entre mes invités Patrick Weil et Georges Bensoussan était tendu car il portait sur le sujet le plus brûlant du jour : la crise du vivre-ensemble, mais il n’y a eu aucun dérapage, aucun débordement et, l’émission durant cinquante-trois minutes, chacun a pu préciser sa pensée et lever tous les malentendus possibles. D’où mon étonnement d’avoir à témoigner devant un tribunal : il ne revient pas à la justice de régler les litiges intellectuels. Le reproche qui est fait à Bensoussan est d’avoir affirmé, en s’appuyant sur les travaux du sociologue d’origine algérienne Smaïn Laacher, que dans les familles arabes, l’antisémitisme, on le tête avec le lait de la mère. Cette expression est ancienne et elle n’a, en elle-même, rien de raciste. Comme l’a rappelé Michel Laval, l’avocat de Bensoussan, en citant Le Livre des métaphores de Marc Fumaroli, l’image du lait maternel évoque au figuré les sentiments et opinions contractés dès l’enfance dans la famille et le milieu. Le « lait », autrement dit, ce n’est pas le « sang », il ne s’agit pas de génétique, il s’agit de transmission. Et c’est l’expression qu’a employée l’ancien Premier ministre israélien Ytzhak Shamir pour qualifier l’antisémitisme polonais, dont Zeev Sternhell nous dit par ailleurs qu’il était palpable dans chaque coin de rue au sortir de la guerre. Peut-être parce qu’il était habité par ces références, le directeur de la Revue d’Histoire de la Shoah n’a pas utilisé la bonne image. Lors du documentaire diffusé sur France 3 auquel il faisait référence, Smaïn Laacher a dit que l’antisémitisme arabe est « déjà déposé dans l’espace domestique… Une des insultes des parents à leurs enfants quand ils veulent les réprimander, c’est qu’il suffit de les traiter de “Juifs”. Et ça, toutes les familles arabes le savent » ! En d’autres termes, avant d’être une opinion ou une idéologie, cet antisémitisme est un code culturel : « Dans ce qu’on appelle les ghettos, il est difficile d’y échapper, comme à l’air qu’on respire. » « L’air qu’on respire » et « le lait de la mère », ce sont deux métaphores différentes qui disent exactement la même chose !


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Pour justifier cependant l’accusation de racisme, le CCIF et toutes les associations qui lui ont emboîté le pas font grief à Bensoussan d’être tombé dans la généralisation. Généraliser, c’est essentialiser ; essentialiser, c’est remettre en cause l’unité du genre humain. Ce raisonnement montre qu’il ne s’agit plus, pour l’antiracisme officiel, de combattre les préjugés et les discriminations mais de frapper d’interdit le mouvement même de la pensée. Qui pense, en effet, conceptualise. Et qui conceptualise généralise. Avec le mot-couperet d’essentialisation, la réalité est soustraite à l’investigation et les musulmans à la critique. Toute critique de l’islam comme fait social, religieux et politique relève, dans cette perspective, de l’islamophobie. Et nous voici confrontés au grand paradoxe du multiculturalisme : on conteste d’abord la prétention de l’Occident à incarner l’universel en lui rappelant l’existence d’autres manières d’être et de faire. Et dans un second temps, on cloue au pilori ceux qui relèvent dans ces manières des traits négatifs, comme par exemple la misogynie et l’antisémitisme. Le non-Occident n’est jamais coupable de rien, il a l’innocence absolue, intouchable et intachable de la victime de l’histoire. Quand les multiculturalistes voient des musulmans choisir le djihad contre les juifs et les croisés, ils disent comme l’islamologue François Burgat que c’est parce qu’ils n’étaient pas traités comme des sujets à part entière qu’ils sont devenus des sujets entièrement à part. Ainsi l’Occident est-il doté de l’attribut divin de l’omnipotence par ceux-là mêmes qui se targuent de l’avoir fait descendre de son trône. C’est lui le grand criminel, c’est lui qui est à l’initiative de tout.

Bensoussan rejette cette façon de voir (ou plutôt de ne pas voir) mais il se garde bien d’enfermer les musulmans dans la mentalité qu’il dénonce. Quand j’évoque, en l’entendant parler de la coupure de la France en deux peuples, le risque de l’essentialisation, il me répond qu’il n’y a aucune fatalité à ce phénomène et qu’il y a tous les moyens d’y remédier si les élites de notre nation reprennent les choses en main, si elles acceptent de revendiquer leur héritage. Mais, prenant acte de l’actuelle fracture française et du fait que la France est devenue la première terre d’immigration vers Israël, il se demande : « Qu’est-ce qui se passe ? » Et au lieu de s’interroger avec lui, le ministère public et les associations ne pensent qu’à le punir. Je l’ai dit à la cour : « Un antiracisme dévoyé vous enjoint de criminaliser l’inquiétude au lieu de combattre la réalité sur laquelle elle se fonde. Si vous cédez, ce sera une catastrophe intellectuelle et morale. »

On croyait naguère que le racisme n’avait qu’un visage : Dupont-Lajoie, et une multitude de cibles : le Noir, l’Arabe, le Musulman, le Juif, le Rom. Cette vision du monde a été démentie par les faits. L’antiracisme judiciaire fuit ce démenti dans le déni. Et la Licra, longtemps accusée de judéocentrisme, vient de rejoindre le parti du déni. Je faisais partie du Comité d’honneur de la Licra. En s’associant à tous les collectifs contre la liberté de penser et le droit de regarder la réalité en face, cette organisation s’est déshonorée. J’ai donc envoyé, dès le lendemain du procès, ma lettre de démission et j’invite tous les adhérents à tirer eux-mêmes les conséquences de l’indignité qui vient d’être commise. La Licra se « mrapise » et s’il y a une chose dont la France d’aujourd’hui n’a pas besoin, c’est de deux Mrap.

Un mot, pour finir, sur le ministère public : dans son réquisitoire, la procureure a parlé à propos de Bensoussan de « passage à l’acte dans le champ lexical ». Cette femme est jeune, et les mots qu’elle emploie portent la marque du jargon débile qui a, depuis quelques décennies, envahi l’Éducation nationale. Mais la formule n’est pas seulement jargonnante, elle est extravagante. Qu’est-ce que passer à l’acte, sinon précisément sortir du champ lexical ? En rapatriant dans la langue ce qui par définition n’en relève pas, la procureure a voulu dire que Bensoussan était un véritable criminel. Elle n’a cessé, en outre, de le comparer à Éric Zemmour car, pour elle, le vrai problème de la France ce n’est pas que les juifs ne s’y sentent plus en sécurité, c’est qu’y sévissent impunément des intellectuels et des journalistes « réactionnaires ». Si, comme on peut l’espérer, Bensoussan est relaxé, la grande alliance des associations antiracistes et de la magistrature du mur des cons ne lâchera pas l’affaire. Elle interjettera appel car rien ne lui est plus intolérable que la nécessité d’ouvrir les yeux.[/access]



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Alain Finkielkraut est philosophe et écrivain. Dernier livre paru : "A la première personne" (Gallimard).

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