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Euthanasie : l’acharnement législatif


Euthanasie : l’acharnement législatif

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Depuis la publication du rapport Sicard en décembre 2012, les débats sur une éventuelle dépénalisation de l’euthanasie s’étaient faits plus discrets, rapidement relégués à l’arrière de la scène médiatique par le mariage pour tous. Mais les Français aiment trop se quereller sur des sujets d’éthique pour s’en tenir à cette unique réforme. Gageons que l’actualité des prochains mois ouvrira les vannes d’un débat animé.
La récente sortie du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), à travers un texte rendu public à la mi-février, ravive la question soulevée par la vingt-et-unième proposition du programme de François Hollande. En tant qu’étudiants en médecine et en sciences politiques, et comme tout jeune concerné par l’avenir éthique et social et de la France, nous avons cru devoir exprimer notre opposition à toute forme d’euthanasie dite « active » et à l’aberration du suicide assisté.
L’assistance médicalisée pour la fin de vie – euphémisme maladroitement utilisé pour occulter une réalité que les commissions n’ont pas l’audace de nommer simplement l’assistance médicalisée pour la mort, donc, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, marque une étape majeure dans la résurrection d’un État tout-puissant auquel incomberait le droit de dire qui peut ou ne peut pas mourir, conformément à sa conception singulière, devenue absolue, de la dignité humaine.
Cette intuition explique en partie l’adoption d’un texte par le Conseil de l’Ordre qui, de peur d’être dessaisi d’un dossier engageant l’avenir de chaque médecin, a compris qu’il devait jouer son rôle. Il est certaines questions qu’on ne peut décréter à la majorité et dont le traitement appartient légitimement à ceux qui sont les mieux placés par l’expérience de leur profession. L’euthanasie ne se joue pas dans les salons de l’Assemblée nationale, mais plus prosaïquement dans l’étroitesse d’une chambre d’hôpital. Face à certains sujets, démocratie et transparence ont tôt fait de montrer leurs limites. Non pas qu’il faille confisquer à l’opinion publique la délicate question de l’euthanasie, mais celle-ci, par les nuances qui la composent, exige d’être posée de manière concertée entre ceux qui savent et ceux qui décident. Ce n’est certainement pas au travers de sondages qu’on doit mesurer la nécessité d’une telle loi. Ou alors, pour pousser l’humour noir jusqu’à la froideur statistique des études d’opinion, mesurons sans tarder la cote de popularité dont jouirait une faucheuse sur commande !
La politique a pour objet les conditions du vivre-ensemble, et non du mourir-assisté. Quant aux lois, elles demeurent l’expression générale d’une volonté portant sur des cas généraux. Évidemment, personne ne veut souffrir. À juste titre, l’opinion publique s’est laissée fortement impressionner par des situations exceptionnelles ayant bénéficié d’un très large écho médiatique. Mais, au-delà de la compassion, il entre un peu d’irresponsabilité dans l’idée qu’on puisse confier à d’autres, à la demande, la tâche d’abréger ses souffrances. On ne légifère ni avec des affects, ni avec des peurs.
Dans son premier constat, le Conseil de l’Ordre rappelle qu’il existe depuis 2005 une loi répondant efficacement à la majorité des cas. En proscrivant l’acharnement thérapeutique, la loi Leonetti traduit la volonté du corps médical d’accompagner dignement les derniers jours d’un patient sans franchir le pas définitif – moralement fragile et socialement dangereux – de l’euthanasie. Le rapport Sicard aura beau bâtir des distinctions spécieuses entre mort et fin de vie, suicide et mort volontaire, accompagnement et complicité, il s’agit bel et bien de donner la mort. L’Ordre des médecins réaffirme ainsi son attachement à la loi Leonetti et encourage sa promotion massive auprès des soignants et de l’opinion. Garde-fou aux dérives possibles de l’euthanasie, cette loi permet d’articuler deux phrases majeures du serment d’Hippocrate : « Je ne prolongerai pas abusivement les agonies » et « je ne provoquerai jamais la mort délibérément ».
D’après le même rapport Sicard, la légalisation de l’euthanasie ferait l’objet d’une « revendication très largement majoritaire » portée par plus de 80 % de la population. Face à l’argument du nombre, nous constatons qu’un tel mouvement traduit non seulement un abandon de responsabilité au profit des pouvoirs publics, mais manifeste surtout un changement radical dans la perception de la vie humaine et des rapports sociaux. Au lieu de prendre ces chiffres pour argent comptant, mieux vaudrait diagnostiquer une pathologie collective. Le vrai problème, à notre sens, réside principalement dans la solitude profonde qui entoure les mourants. « Penser solidairement la fin de vie », le titre du rapport dégage une amère ironie quand on conçoit que c’est précisément une crise de solidarité qui nous amène aujourd’hui à prendre au sérieux la dépénalisation de l’euthanasie. Dans les années 1970, le sociologue Norbert Elias décrivait déjà ce symptôme social plus que pathologique de l’abandon généralisé où se tient l’agonie des mourants.
Pour que ce terme d’agonie ne perde pas son sens originel – celui d’une lutte ultime et courageuse contre la mort -, il faut considérer qu’elle se vit à plusieurs, dans l’accompagnement familial et social, plutôt que dans l’isolement sordide de mouroirs institutionnalisés. Cet argument fait peur. Le temps presse, coûte cher et, comme l’écrit François Hollande au professeur Sicard, les familles ne « sont plus toujours en capacité d’assister leur proche ». Nos vieux sont un fardeau, un phénomène qu’une administration cynique pourrait ajouter à la longue liste des éléments parasites et chronophages ! C’est donc, au premier chef, la responsabilité des familles, enfants et parents confondus, et celle du corps social dans son ensemble, qu’il s’agit de promouvoir hic et nunc en arguant d’un thème aujourd’hui à la mode : « la solidarité des générations ». À en croire certains, ce thème ne relève apparemment plus du bon sens le mieux partagé. Quant aux malades incurables, est-ce à la collectivité de dire qu’ils peuvent mourir ? Est-ce aux médecins d’administrer la mort ? La revendication d’une clause de conscience suffit à démontrer les failles de ce projet.
De fait, la place qu’occupe aujourd’hui la question de l’euthanasie révèle surtout les vices d’une société où les malades éprouvent douloureusement le poids de leur présence. De leur sur-vie, pourrait-on dire. Ce n’est pas d’une aiguille qu’ont besoin les mourants, mais d’une main cramponnée à la leur.
Que les familles se chargent d’honorer leurs parents jusqu’à la déchéance pour qu’elle n’en soit plus une. C’est uniquement dans le regard des autres que le patient s’éteindra avec dignité, pas sous les néons glauques d’une salle dédiée aux séances d’injection létale.
Nous n’ignorons pas qu’une éventuelle légalisation de l’euthanasie ne concernerait pas exclusivement les personnes âgées. Mais, dans les faits, elles représentent la part majoritaire des cas visés par le dispositif. Développons les infrastructures ! Apaisons les souffrances ! Garantissons à tous la dignité du soin ! Il y a déjà tant à faire de ce côté. Quand bien même il vous en prierait courtoisement, on ne pousse pas un mourant dans l’escalier. Même en fermant les yeux.
Sommes-nous prêts à voir émerger dans les hôpitaux des lieux consacrés au suicide ? Imagine-t-on de demander à d’autres le droit de mourir au risque de voir sa requête rejetée ? A-t-on conscience des risques et des dérives encourus par des individus déjà fragilisés par les effets de la maladie ?
La balance penche bien trop du côté des méfaits potentiels ou réels pour que nous puissions reconnaître la nécessité de cette loi. Ce n’est pas hypocrisie, mais bon sens de reconnaître que le rôle de l’État a des bornes. N’oublions pas que nos prédécesseurs ont tout fait pour soustraire à l’instance publique le droit de vie et de mort sur chacun. Ce n’est pas pour le lui redonner aujourd’hui sous l’impulsion de nos angoisses. Ne créons pas, sans le vouloir, les conditions d’une mort planifiée déléguée au pouvoir. Et pour finir sur ce degré suprême d’intervention du politique dans la sphère privée, dernier rempart de liberté individuelle, nous emprunterons à Balzac l’expression de son étonnement face à un risque qui nous guette : « Je ne savais pas que la bureaucratie pût allonger ses ongles jusque dans nos cercueils. »

*Photo : Martin Le Roy.



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sont étudiants en médecine et en affaires publiques (Paris VII-Diderot et Sciences Po Paris).

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