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Deux mariés ne font pas deux pères !


photo : bkusler (Flickr)

Non, le PS n’est pas le parti des vieux mâles blancs hétérosexuels, machos patentés et violeurs potentiels quoique présumés. Il aime les femmes, les pauvres, les immigrés et les minoritaires en tout genre. À défaut de compter dans leurs rangs des bataillons de femmes de chambres issues de l’immigration, les socialistes ont ressorti des tiroirs le mariage homosexuel et l’antienne qui va avec, reprise en chœur par une bonne partie des commentateurs, sincèrement désolés par notre conservatisme : « la France est en retard ! ». D’ailleurs, à en croire les sondages, 58 % des Français y seraient favorables: bizarre, je n’avais pas remarqué que les désirs des Français étaient des ordres.

Peu importe que le texte proposé à l’Assemblée nationale n’ait aucune chance d’être adopté. L’essentiel c’est qu’Aurélie Filipetti soit fière de le défendre et que le PS rappelle que sa vocation naturelle est d’indiquer le sens de l’Histoire à ses contemporains. Une petite pancarte pour rappeler aux étourdis que « le Progrès, c’est par ici Messieurs-Dames ».

On a bien sûr le droit d’être favorable au mariage gay. L’ennui, c’est qu’on ne puisse pas s’y opposer. Or, il est bel et bien en train de rejoindre d’autres grandes causes au rayon des propositions qu’on ne peut pas refuser. Refuser de s’enthousiasmer pour cette avancée incontestable au sens le plus strict du terme, c’est afficher non pas son homophobie mais pire, sa ringarditude indécrottable. Ben quoi, ça leur fait plaisir et ça gêne personne, où est le problème ? On est tous égaux, non ? Comme l’a dit François Hollande, « on ne va pas empêcher deux personnes qui s’aiment de s’unir ». Ce serait très méchant. Et moi, je suis gentille. Notons au passage le caractère performatif du désir : puisque je veux ceci ou cela, il est bien normal que la société se débrouille pour me le procurer. Je vous enverrai ma petite liste.

Quoi qu’il en soit, je n’ai rien à redire au mariage lui-même. Je croyais que c’était vachement bien qu’on ait arraché l’amour, le sexe et même la procréation à cette institution bourgeoise. Mais puisqu’il s’avère décidément impossible de jouir sans entraves, la chaine conjugale en vaut bien une autre – en plus, si on se marie, on a une petite chance de pouvoir accuser son chacun/chacune de « viol conjugal », mais ça, les enfants, ce sera pour la prochaine leçon.

Les homosexuels ont conquis le droit aux charentaises et au samedi après-midi chez Carrefour. S’ils veulent, en prime, la robe « princesse d’un jour », la pièce montée et le banquet de famille avec Pépé qui prend sa cuite, sans oublier le divorce qui conclut une bonne proportion des mariages avant cinq ans, grand bien leur fasse.

Il y a un petit problème, c’est qu’on n’a pas inventé le mariage pour que les Roméo et Jules de tous sexes puissent afficher à la face du monde leur amour interdit mais pour protéger la filiation – et sa conséquence la plus terre-à-terre, l’héritage. Que le mariage veuille dire « toi et moi pour la vie » pour les individus concernés, c’est très joli, mais du point de vue de la collectivité, il signifie d’abord que les enfants de madame sont réputés être ceux de monsieur, pour le reste que chacun garde ses secrets d’alcôve. Et cette salutaire hypocrisie a permis la transmission des biens et des codes à travers un ce truc bancal, mouvant, oppresseur et génial qu’on appelle « famille ».

Donc sans filiation, pas de mariage. Du reste, les partisans de l’homo-conjugalité n’en font pas mystère, leur but est de faire reconnaître l’homoparentalité. Or, ça, ça me chiffonne. Je vous vois venir, traînant derrière vous des cohortes d’enfants déglingués par des couples banalement composés d’un homme et d’une femme. Objection parfaitement valable : à l’évidence, deux hommes ou deux femmes peuvent élever un enfant aussi bien ou aussi mal qu’une paire hétéro. Que l’on invente un statut répondant aux nécessités concrètes d’une telle situation, fort bien : il est bon que les moules autoritaires et rigides se heurtent à la plasticité de la vraie vie que fabriquent ensemble les sujets autonomes. Pas besoin d’être estampillé « père » ou « mère » pour pouponner ou aller récupérer un ado au commissariat.

Sauf qu’il ne s’agit pas de la vraie vie mais d’un ordre symbolique qui doit bien avoir quelques vertus pour avoir traversé les siècles et les civilisations. Et cet ordre symbolique repose sur ce minuscule détail qu’est la différence entre les hommes et les femmes. Nul n’est obligé de s’accoupler avec le sexe opposé ni de participer à la reproduction de l’espèce. Mais il me semble que celle-ci relève littéralement de l’intérêt général. Roméo peut partir en voyage de noces avec Jules si ça lui chante, il n’en a pas moins intérêt à ce que Juliette fasse des mômes avec le godelureau de son choix. Demander à la société de dire à un enfant qu’il a deux « papas » ou deux « mamans », ce n’est pas seulement se vautrer dans la niaiserie langagière qui enchante le journaliste, c’est institutionnaliser un mensonge anthropologique – en tout cas tant que la science n’aura pas corrigé les cochonneries de la nature et permis à chacun de commander l’enfant de son choix à l’enfanterie du coin. « Le droit de l’enfant à vivre dans une famille épanouie, avec de l’amour, n’est pas lié au sexe des parents », proclame Henriette Martinez, l’une des deux élues UMP à avoir voté le texte. En attendant qu’un juge fasse respecter ce droit à l’amour, j’aimerais rappeler que nous avons tous également le droit inaliénable de ne pas être pris pour des cons. Même les enfants.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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