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Depardieu, contribuable sans frontières


Depardieu, contribuable sans frontières

gerard depardieu ayrault

Quel beau spectacle que celui de la vertu ! Et qu’il est réconfortant d’observer l’altruisme en actes ! De Michel Sardou à Jean-Luc Mélenchon en passant par Line Renaud, qu’elle est admirable, la France réconciliée, par la grâce – et sur le dos – de Gérard Depardieu. « Minable », décrète l’un, Premier ministre tout de même. « Déchéance personnelle », renchérit l’autre. Retirons-lui la nationalité française, clame le troisième, député, en arguant du fait qu’aux Etats-Unis, Depardieu devrait s’acquitter du différentiel d’impôts économisé en franchissant une frontière. Il est assez savoureux qu’un élu de la République réclame la sanction nucléaire pour un citoyen français qui a transgressé la législation américaine. On se demande où sont passées nos grandes consciences, si sourcilleuses sur l’esprit du droit et les valeurs de la République quand Nicolas Sarkozy proposait, à tort d’ailleurs, de déchoir de leur nationalité française les tueurs de flics : à l’époque, ce fut un beau charivari, un festival de « Vichy is back ! » et de « la République est en danger ». La proposition de Yann Galut, aussi sotte soit-elle, n’a pas suscité le même tollé. Il faut croire que pour mes concitoyens, l’égoïsme est pire que le crime – puisque l’égoïsme est la seule chose que l’on pourrait éventuellement reprocher à Depardieu.

On suppose que les indignés qui glapissent aujourd’hui font toujours et en toutes circonstances prévaloir l’intérêt général sur leur intérêt particulier. C’est que, comme le disait drôlement Luchini sur le plateau de Michel Drucker, ces gens-là aiment donner. Pas comme Depardieu, qui affirme avoir payé 145 millions d’euros d’impôts en 45 ans, mais quand on pense à tout ce qu’il a gardé pour lui, il n’y a rien à dire, c’est un salaud.

Il n’aura échappé à personne qu’à la différence d’un Omar Sy ou d’un Yannick Noah, parfaitement cashers-de-gauche, Depardieu ne cachait pas sa sympathie pour Nicolas Sarkozy. Non ce n’est pas suspect, c’est logique: il aime Sarko, il aime l’argent. Les autres aiment leurs enfants, c’est pour ça qu’ils tentent de préserver leur patrimoine.

Chacun étant occupé à se refaire la cerise morale sur le dos du nouvel ennemi public, un certain nombre de questions sont restées sans réponse. À défaut d’y répondre, on tentera au moins de les exposer.

Primo, il me revient avoir appris à l’école qu’un bon impôt était celui qui rapportait. Et peu de temps avant l’élection présidentielle, François Hollande estimait, dans un entretien avec Edwy Plenel, que le taux de 75 % était confiscatoire. Autrement dit, si le taux actuel d’imposition fait fuir ceux qui ont les moyens de fuir, ne faudrait-il pas, au-delà des bons sentiments, s’interroger sur l’efficacité d’une politique fiscale qui aboutit à de tels résultats ?

Deuxio, ce gouvernement n’ayant pas grand-chose de nouveau à proposer en guise de politique, n’est-ce pas une vieille lune de la gauche de s’en prendre aux deux cents familles, au mur de l’argent et autres profiteurs – comme s’il suffisait, à défaut de faire payer Depardieu, de l’insulter, pour que tout aille mieux ? Bref, le cocktail ‘ »mariage gay + sus aux riches ! », peut-il tenir lieu d’identité à la gauche ? (On dirait que oui, mais j’ai promis de ne pas répondre….)

Tertio, il est franchement rigolo que ces gens qui ont gravé dans le marbre la vision européenne de la concurrence et l’abolition des frontières découvrent aujourd’hui que les causes qu’ils chérissaient produisent des effets qu’ils détestent. Depardieu leur fait un pied de nez en se déclarant citoyen du monde ? Mais qui a inventé ces sornettes sinon ceux qui nous gouvernent ? De plus, a-t-on assez entendu, à gauche, que la France était un pays détestable, colonialiste et raciste: et c’est pour ce pays que Depardieu et les autres devraient se mobiliser ? Peut-on expliquer dans la même phrase qu’acheter français, comme le préconise Montebourg, est xénophobe mais que payer ses impôts en France est patriotique ?

Enfin, il y a quelque chose de sinistre dans l’emploi abondant qui est fait de la devise républicaine, alors même que son premier terme semble avoir disparu. En effet, les intransigeants défenseurs de 1789 semblent oublier que le premier mot inscrit au fronton des mairies est « liberté » – et Depardieu n’a fait qu’exercer la sienne. En revanche, ils adorent brandir la fraternité et l’égalité pour condamner leurs semblables. Au point que des esprits simples finiront par se demander si l’une et l’autre ne sont pas simplement les alibis du plus « minable » des ressentiments.

*Photo : igorjan.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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