Les mères sont entrées dans Paris


Les mères sont entrées dans Paris
(Photos : Laurent Gayard)
(Photos : Laurent Gayard)

C’est un drôle de cortège déterminé et tintinnabulant que les passants ont croisé dimanche après-midi sur le boulevard Magenta à Paris. Deux cents personnes brandissant drapeaux français et banderoles marchaient sous les couleurs de la Brigade des mères, association fondée à Sevran-Beaudottes par Nadia Remadna qui ouvrait la marche, micro en main : « Clientélisme, on en a marre ! Corruption, on en a marre ! Islamisme, on en a marre ! En avant tous, on va prendre la République ! »

Il y a un peu plus de trente ans, en 1983, la « marche des Beurs », inaugurait les années SOS-Racisme qui s’achèvent aujourd’hui sur un constat bien amer, car si l’antiracisme est devenu une religion médiatique, le sort des banlieues françaises ne s’est lui pas vraiment amélioré : communautarisme exacerbé, délinquance et chômage allant de pair aujourd’hui avec radicalisme et islamisation dans les territoires perdus de la République.

Mais en ce dimanche 13 mars 2016, c’est moins la « marche des Beurs » de 1983 qui pourrait servir de référence que celle des femmes et de la garde nationale du 5 octobre 1789, à en juger par le nombre de drapeaux français qui volent au-dessus des têtes et par les slogans. « Laïcité et République pour tous ! La banlieue est là ! Vive la liberté et vive la France ! », scande-t-on en frappant sur des casseroles ou en s’accompagnant à la crécelle. Micros et mégaphones grésillent en faisant résonner dans un Paris ensoleillé les accusations des habitants de la banlieue nord venus dire leur colère : « Dans les quartiers, notre liberté est menacée ! Les femmes n’ont même plus le droit de s’asseoir à une terrasse de café. Nous voulons le droit, nous voulons la République, nous voulons le retour de l’autorité de l’Etat ! »

Dans la foule, habitants et représentants associatifs défilent de concert. Il y a donc là des membres de la Brigade des mères qui s’est donnée pour tâche de venir en aide aux femmes de banlieue face à l’islamisme, comme aux jeunes face à la délinquance ou à la radicalisation. Marchent avec elles les membres de l’association Femmes sans voile, basée à Aubervilliers, qui dénonce l’officialisation de l’inégalité des sexes par les islamistes, et les représentants de l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis, à ne pas confondre avec l’instance présidée par Jean-Louis Bianco, qui ne partage pas vraiment les mêmes analyses. « Saint-Denis est devenu un fief salafiste, il est plus que temps d’agir », dénonce ainsi sans détour Maya, membre de l’Observatoire.

Toutes ces associations, « Brigade des Mères » en tête, se déclarent parfaitement apolitiques, mais désireuses d’interpeller fortement les élus qui, estiment-elles, ont fait pendant des années le jeu des salafistes par aveuglement ou tout simplement par cynisme électoraliste. Et tandis que l’on continue à marcher vers la grand statue de Marianne en bronze dont la silhouette se dessine au loin sur la place de la République, une expression revient plus fréquemment que d’autres au micro des manifestants : « Nous sommes des lanceurs d’alerte ! »

Des lanceurs d’alerte, il y en a eu quelques-uns déjà, qui depuis plus de vingt ans, ont cherché à attirer l’attention sur une situation de plus en plus préoccupante. A commencer par le sociologue Paul Yonnet qui, dans Voyage au centre du malaise français, analysait le naufrage d’une utopie antiraciste paradoxalement… très racialiste. Et il y eut bien sûr aussi Les Territoires perdus de la République, dans lequel un collectif de professeurs coordonné par Georges Bensoussan dénonçait en 2002 la dérive des « quartiers ». Les deux ouvrages firent chacun en leur temps l’objet d’une quasi omerta qui peine encore à être levée aujourd’hui. Et le ras-le-bol crié ce dimanche par Nadia Remadna et sa « Brigade des Mères », ou par les associations ou habitantes et habitants de Sevran, Saint-Denis et Aubervilliers qui l’accompagnent, est également dirigé contre les « experts » qui n’ont pas fait preuve durant tout ce temps d’une grande intelligence de la situation : « Nous ne nous voulons plus d’experts, de sociologues ! Nous sommes les experts et les sociologues ! Nous ne voulons plus d’excuses, de victimisation ou de stigmatisation, nous voulons la liberté, nous voulons la France ! » Et parmi ceux que l’on accuse volontiers d’avoir laissé, comme tant d’autres, la situation se dégrader, l’actuel locataire du palais de l’Elysée n’est pas oublié non plus dans les slogans : « Nous allons offrir des vacances à François Hollande. Quand il reviendra, il verra ce qu’on aura été capables de faire à sa place. Ca ne peut pas être pire de toute façon ! »

Derrière les déclarations un peu bravaches, il y a cependant la volonté de mobiliser tout de même les politiques. Parmi eux, Frédérique Calandra, maire du XXe arrondissement, a déjà répondu à l’appel et est venue accueillir les manifestants sur la place de la République. Elle est accompagnée d’une partie des signataires du manifeste du Printemps républicain, dont la maire socialiste est aussi une des initiatrices.

Le silence se fait au pied du monument, encore couvert des graffitis, des messages et des bougies, stigmates des attentats et des manifestations de janvier et novembre 2015, tandis que la foule se rassemble en silence, pour rendre hommage aux victimes des tueries. Et après quelques minutes, la voix de Serge Reggiani sort d’une enceinte grésillante : « Cent loups sont entrés dans Paris. Ah tu peux rire, charmante Elvire, cent loups sont entrés dans Paris ! » Mais si les loups ne sont pas entrés dans Paris ce dimanche, les quelques centaines d’habitants des territoires pas encore tout à fait perdus de la République qui ont fait le déplacement craignent en revanche qu’ils s’établissent pour de bon dans leurs villes et leurs quartiers. « Ca fait des années que nous subissons cette pression et même qu’ils font la loi dans certains endroits. Nous demandons juste que ça s’arrête maintenant ! » Dix mètres au-dessus de nos têtes, Marianne fait semblant de fixer l’horizon l’air de rien, d’un regard de bronze un peu ironique. Juchée sur son piédestal, en plein milieu de la place de la République, elle a du, c’est vrai, entendre depuis 1883 bien d’autres harangues. Elle semble bien pourtant être cette fois la première concernée. Il va vraiment falloir cesser de rire, charmante Elvire…



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