Le temps des coups d’Etat rampants


Le temps des coups d’Etat rampants
Dilma Rousseff, fin mars (Photo : SIPA.00748182_000005)
Dilma Rousseff, fin mars (Photo : SIPA.00748182_000005)

Finalement, aujourd’hui, quand on veut faire un coup d’Etat, on n’a plus besoin du folklore sanglant de jadis : des chars dans les rues, des paras surarmés aux carrefours, des étudiants parqués dans les stades, des ministres arrêtés au petit matin et deux ou trois brutasses galonnées, si possible en lunettes noires, pour parler sur une unique chaîne de télévision et que les stations de radio diffusent de la musique classique.

Ca, c’était dans le monde d’avant, l’archétype du coup d’Etat ayant eu lieu un 11 septembre 1973, au Chili. En général, le coup d’Etat est de droite pour une raison simple : l’armée est rarement de gauche et quand la gauche arrive au pouvoir, c’est toujours considéré par la droite comme un horrible accident de parcours qui trouble l’ordre légitime des choses. Certes, le coup d’Etat, aussi appelé putsch ou pronunciamiento, est parfois de gauche comme en Russie en 1917 ou au Portugal en 1974. Mais il est suivi d’un processus révolutionnaire alors que le coup d’Etat de droite est suivi d’un processus réactionnaire. C’est toute la différence par exemple entre Pinochet à Santiago et les capitaines d’avril au Portugal, un guitariste aux doigts tranchés et un œillet dans le canon d’un fusil d’assaut.

Maintenant, en matière de coup d’Etat, les choses sont à la fois plus compliquées et plus simples. Plus compliquées parce qu’à l’époque d’Internet, il est tout de même très difficile de verrouiller l’information et de fermer ses frontières, même temporairement, deux choses absolument nécessaires quand vous voulez faire le ménage chez vous et apprendre aux partageux de toutes sortes à filer droit. Mais c’est aussi plus simple car l’information n’a plus besoin d’être verrouillée puisqu’elle est entre les mains de quelques-uns et que les banques, par exemple, sont plus efficaces que les blindés pour mettre à genoux un pays.

Souvenons-nous de l’année dernière, en Grèce. Des gens très polis, avec de jolies cravates dans des bureaux climatisés de Bruxelles ont expliqué très calmement mais très fermement à Alexis Tsipras que demander son avis à son peuple n’était pas une chose à faire et que s’il ne signait pas sur le champ un memorandum leur permettant de presser la Grèce jusqu’à la dernière goutte, ils allaient renvoyer son pays à l’âge de pierre en coupant les liquidités : bref, on a vu comment un distributeur de billets vide était plus efficace qu’une mitrailleuse lourde pour faire courber l’échine à toute une population.

Le coup d’Etat est même parfois invisible, ou presque. Si on accepte comme définition le fait d’imposer à un pays le contraire de ce pour quoi il a voté, il y a eu un coup d’Etat en France le 8 février 2008. Après avoir fait réviser la Constitution le 4, le président Sarkozy faisait ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire quatre jours plus tard, traité de Lisbonne qui était, on s’en souviendra, une resucée à peine modifiée du TCE rejeté par 55% des électeurs moins de trois ans plus tôt.

Un renversement postmoderne

Un de ces coups d’Etat new-look, postmoderne pourrait-on dire car il rompt avec les formes anciennes de l’Histoire, se déroule en ce moment au Brésil et c’est la présidente Dilma Rousseff qui risque bien d’en être la victime. Il se trouve que Dilma Rousseff est de gauche, membre du PT (Parti des Travailleurs) au pouvoir au Brésil depuis la première élection de Lula en 2002. Sur le plan politique, le bilan du PT est loin d’être honteux si l’on songe à l’état du Brésil au moment de son arrivée. Un des pays les plus inégalitaire au monde a, tout en respectant l’orthodoxie financière exigée par un FMI toujours aux aguets, réussi à augmenter sa croissance de manière significative, à électrifier l’ensemble du pays et surtout, grâce au programme Bolsa Familia, réduit considérablement l’extrême pauvreté et fait disparaître la faim et la mortalité infantile, tout simplement en conditionnant une aide financière aux familles à la scolarisation et la vaccination des enfants. C’est tout bête, la gauche, la vraie : c’est se demander pourquoi des pays riches produisent des pauvres et se dire qu’il doit y avoir quelque part un problème de redistribution et de répartition. Les choses furent plus difficiles pour Dilma Rousseff mais, malgré tout le bilan est là. Evidemment, il y a eu le scandale Petrobras qui a vu des dignitaires du PT se servir dans la caisse de la grande compagnie pétrolière. Ce n’est pas bien, pas bien du tout.

Mais on remarquera deux choses. La première, c’est que les prédécesseurs du PT faisaient la même chose mais il ne leur serait pas venu à l’idée d’aller envoyer dans les favelas autre chose que des escadrons de la mort. Au moins, la différence entre un corrompu de gauche à la brésilienne et un corrompu de droite, c’est que le corrompu de gauche garde un certain surmoi social. Il se goinfre mais il ne laisse pas les pauvres le ventre vide. On préférerait de vertueux incorruptibles, bien sûr, mais en même temps ce n’est pas nous qui mourrons de faim.

La seconde, c’est que Dilma n’est pour rien dans l’affaire Petrobras. En fait on lui reproche d’avoir maquillé les comptes du pays en finançant des dépenses budgétaires par des emprunts aux banques publiques afin de faciliter sa réélection. Bon, ce n’est pas pour dire mais si cela suffisait à destituer un chef d’Etat, procédure actuellement en cours au Brésil, nombre de dirigeants européens auraient du souci à se faire. De plus, les députés qui viennent de voter la procédure d’empêchement, eux, pour le coup, sont impliqués dans des affaires de corruption et d’enrichissement avérées.

En plus, quand par hasard on nous parle de la situation au Brésil, c’est pour nous montrer les manifs anti-Dilma et anti-PT en nous parlant de la colère du peuple brésilien face à la malhonnêteté de ses dirigeants et à la politique d’austérité qu’ils font régner. Ce ne sont pas pourtant ceux qui souffrent le plus au Brésil, ces manifestants. Le journal Zero Hora nous apprend que 40 % d’entre eux gagnent plus de 10 fois le salaire minimum et que 76 % ont voté en faveur du candidat de droite Aécio Neves lors de la dernière élection présidentielle de 2014.  Et l’on est beaucoup plus discret sur les rassemblements pro-Dilma tout aussi nombreux. Serait-on en présence, très banalement, d’une lutte des classes à l’ancienne avec une bourgeoisie qui ne supporte pas ou plus de voir le pouvoir lui échapper depuis 2002 ? Le tout soutenu par le propre vice-président de Dilma, Michel Temer, venu de la droite, nommé dans un souci d’unité nationale, mouillé jusqu’aux yeux dans l’affaire Petrobras et qui se retourne contre Dilma en multipliant les promesses de ministères aux députés hésitants.

Dilma sauvera-t-elle son poste avec le soutien toujours massif des classes populaires ? On n’en sait rien à l’heure qu’il est mais soyons certains que cette ancienne guerillera qui doit être la seule chef d’Etat avec Poutine à savoir démonter et remonter une kalach, qu’on surnommait la « durona » du temps de la dictature militaire où elle fut torturée et où elle ne lâcha rien, ne se laissera pas faire. Et que sa défaite serait une mauvaise nouvelle pour la gauche, bien sûr, mais pour toute personne qui croit en cette chère vieille chose qu’est la démocratie.



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