Les gays ont épousé le conformisme


Les gays ont épousé le conformisme

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Marie-Josèphe Bonnet est historienne. Elle a successivement milité au Mouvement de libération de la femme (MLF), au Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) puis aux Gouines rouges. Elle a récemment publié Adieu les rebelles ! (Flammarion, 2014), brillant pamphlet contre la dérive bourgeoise du mouvement homosexuel.

Daoud Boughezala. Pourquoi êtes-vous opposée à la loi Taubira sur le mariage et l’adoption pour tous, célébrée comme une immense avancée par les associations gays et lesbiennes ?

Marie-Josèphe Bonnet. Le mariage étant conçu pour faire et protéger les enfants, l’ouvrir aux homosexuels, c’est mettre un plâtre sur une jambe de bois ! En s’alignant sur le modèle hétérosexuel, le « mariage pour tous » élude en effet la pluralité des comportements amoureux, des désirs et des choix de vie. Le législateur a décrété l’égalité entre les couples, et non pas entre les personnes. Que fait-on de ceux qui ne sont pas mariés ? Ont-ils les mêmes droits que les hétéros ? La loi Taubira n’est qu’une reconnaissance illusoire de l’homosexualité. Comme toute mesure d’institutionnalisation, elle normalise la sexualité et introduit de nouvelles séparations : d’un côté les mariés et, de l’autre, les célibataires et les pacsés. En fin de compte, cette loi exprime un conformisme petit-bourgeois assez étonnant. Nous vivons la fin de la contre-culture homosexuelle, et cela me consterne !

Après tout, pourquoi les homosexuels n’aspireraient-ils pas à être des bourgeois comme les autres?

Être homosexuel revêt une signification particulière. Cela renvoie à un type singulier de désir, qui a longtemps été réprimé en raison de ses écarts par rapport à la norme hétérosexuelle. Chacun peut interpréter son homosexualité comme il l’entend. Personnellement, je la conçois comme un désir de développement personnel qui me porte à la solidarité avec les femmes. Après Mai-68, j’ai voulu faire de mon homosexualité un facteur de contestation des normes et des modèles sociaux établis. Avec le Front homosexuel d’action révolutionnaire, nous voulions nous transformer nous-mêmes pour changer la société. Mais sévissait déjà dans la société un courant d’intégration des homosexuels qui nous conseillait de ne pas faire de vague et d’entrer dans ce qu’ils appelaient l’« indifférence » en opposition à la « différence » que nous incarnions.

Vouloir être reconnu par le droit, ce n’est pas forcément trahir la cause.  Comme disait le fondateur du FHAR, Guy Hocquenghem, pour déconstruire les rôles sociaux, encore faut-il y avoir accès…

Mais Guy avait accès à tous les rôles ; c’était même sa revendication que de pouvoir jouer avec le rôle féminin en devenant objet du désir. Dans les années 1970, le mouvement « pédé » − qui se désignait comme tel, alors que nous-mêmes nous appelions « gouines » −  se voulait en rupture avec le modèle traditionnel de la virilité. [access capability= »lire_inedits »] Ses membres scandaient « À bas la virilité fasciste ! » dans les manifs du MLF. C’étaient les seuls garçons que nous acceptions dans les cortèges du MLF, car ils se mettaient du côté du matriarcat et acceptaient leur féminité. Quant au mouvement « gouine »,  il était en quête d’une nouvelle forme d’authenticité en rupture avec les stéréotypes sociaux associés aux femmes. Malgré nos différences, au sein du FHAR, nous avons constitué  une alliance fraternelle révolutionnaire pour l’époque !

En ce cas, pourquoi avez-vous rompu avec les associations homosexuelles ?

Pendant que les « gays » s’orientaient exclusivement vers le masculin, abandonnant leur quête de féminité, le féminisme s’est institutionnalisé avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Or, cette rentrée dans le rang s’est faite aux dépens des lesbiennes, qui se sont repliées sur le mouvement queer, abandonnant du même coup le combat pour la reconnaissance sociale de l’amour entre femmes au profit de l’« indifférenciation » des genres.

Les années sida n’ont-elles pas  resserré les liens entre lesbiennes et queers ? Dans votre essai, vous insinuez que c’est l’hécatombe des années 1980 qui a engendré un désir d’enfant chez les gays.

Il est vrai que ces deux mouvements ont été concomitants. D’une part, les féministes officielles – dont certaines étaient lesbiennes – se sont plus ou moins séparées de la cause des homosexuelles censées « haïr » les hommes, car il fallait alors faire la paix des sexes. D’autre part, les gays ont exprimé un désir d’enfant inédit. Les morts du sida ont certainement beaucoup joué dans ce désir de perpétuation. Que les lesbiennes veuillent avoir des enfants, ce n’est pas surprenant. Mais les gays ont voulu transmettre leurs gènes (et leur patrimoine), tout en nous expliquant que le biologique n’avait aucun poids dans la famille. Si tel était le cas, les associations LGBT n’exigeraient pas la GPA, mais se contenteraient de l’adoption !

En somme, on assiste au retour du refoulé génétique ou, à tout le moins, à une revanche de la nature sur la culture ?

Oui. Si l’idéologie dominante répudie toute réflexion sur les gènes, le biologique et la transmission, les individus – homosexuels compris ! – n’en demeurent pas moins travaillés par leur inconscient familial. Dans une famille, quand on n’a pas d’enfant, on n’existe pas.  Moi-même, sans enfant, j’ai dû m’imposer dans ma propre famille, et cela n’a pas été facile.

Rassurez-vous : comme le mariage, la parentalité est désormais « pour tous » ! À ce propos, en lui laissant entendre qu’il peut naître de deux hommes ou de deux femmes, ne brouille-t-on pas complètement les repères de l’enfant ?

Cette fiction revient ni plus ni moins à occulter l’un des parents biologiques de l’enfant. Ne pas avoir connaissance de son héritage génétique est dramatique.  L’origine, c’est fondamental, c’est un enracinement dans une mémoire familiale, un héritage physique, certaines maladies qui se transmettent de génération en génération, etc. Ayant un grand-père né de père inconnu, je sais combien un trou dans l’arbre généalogique peut faire de dégâts. Quand l’histoire de la famille n’a pas été transmise, on se retrouve manipulé par l’inconscient familial. Mais certains proposent de dénier l’origine biologique, comme si elle comptait pour rien.

Vos camarades féministes n’ont-elles pas pavé le chemin de cette déconstruction par leur lutte contre l’ordre patriarcal ?

Ah non, vous confondez luttes féministes et mouvement queer ! Hormis Élisabeth Badinter, Caroline Fourest et Irène Théry, je connais peu de féministes favorables à la « GPA éthique ». Dans les années 1970, la majorité des féministes entendaient maîtriser la fécondité et émanciper les femmes du  pouvoir médical. Or, c’est pratiquement au moment où l’on obtient l’avortement et la contraception que naît Amandine, le premier « bébé-éprouvette ».  Les médecins reprennent alors le pouvoir sur la procréation et font de la thérapie contre la stérilité une priorité, comme si l’on ne pouvait pas vivre sans enfant. Par la suite, la mouvance queer a surfé sur les innovations de la biotechnologie, au risque de lui confier les clés de la filiation. N’oubliez pas qu’avec la PMA, ce n’est plus la mère mais le médecin qui choisit le père de l’enfant. En plus, il sélectionne le sperme, élimine les porteurs de maladie, etc.

Si une partie des députés de la majorité souhaitait autoriser les couples de lesbiennes à recourir à la PMA, ce n’était pas pour complaire au lobby médical mais pour ne plus réserver l’emploi de cette technique aux seuls couples hétéros. Tout bien réfléchi, pourquoi n’accorderait-on pas les mêmes droits à tous ?

Avec la PMA, on franchirait un pas supplémentaire dans l’artificialité en coupant les enfants de leurs origines biologiques. En France, la PMA est permise en cas de stérilité médicalement constatée. Or, l’immense majorité des lesbiennes ne sont pas stériles. Dans leur cas, qu’est-ce qui motiverait la PMA ? On me répondra que deux femmes ne peuvent pas faire d’enfant par les voies biologiques. Mais les homosexuels ont engendré depuis des millénaires. Les lesbiennes n’ont pas besoin de recourir à des techniques médicales pour se faire inséminer par des hommes qui acceptent d’être le père biologique sans être le père social de l’enfant.

Le désir d’enfant à tout prix pousse même certains à « importer » un bébé conçu par GPA car si, en France, François Hollande s’est engagé à ne jamais la légaliser, le recours aux mères porteuses est en pleine extension à travers le monde…

La GPA nous fait bel et bien entrer dans un cadre marchand mondialisé, avec des mères porteuses qui proposent des contrats de location de ventre. Cette technique nous  met face à un enjeu biotechnologique sans précédent. La GPA, c’est l’ouverture au commerce international des enfants, à la négation du rôle de la mère, dont on connaît l’importance dans la relation interpersonnelle qui se noue avec le fœtus au cours des neuf mois de grossesse. Tout ceci est scandaleux. Dans les reportages sur les cliniques de GPA en Inde, on entend des mères auxquelles on a enlevé l’enfant dès la naissance, au point qu’elles n’ont même pas pu lui donner la tétée malgré l’importance du lait maternel dans le développement du système immunitaire du nourrisson. Eh bien, des années après, à chaque anniversaire de l’enfant, elles y pensent encore… J’ajoute qu’en toile de fond, la GPA introduit un « droit à l’enfant » tout à fait abusif, et qui ne se préoccupe pas de l’avenir de l’enfant né dans de telles conditions.

Un enfant élevé par des parents homos sera-t-il forcément moins épanoui que s’il avait grandi dans un foyer hétéro ?

Bien sûr que non ! N’importe qui  peut élever des enfants. Le problème n’est pas là. Mais derrière le « droit à l’enfant » et l’homoparenté, s’avance l’idée de faire des enfants sans l’autre sexe. Quelle société voulons-nous ? D’un côté, on se bat pour la mixité et, de l’autre, on rejette l’autre sexe dans un acte qui est l’essence même de la perpétuation de notre société. Au sujet des homosexuels, on parle même de « stérilité sociale », ce qui est le comble de l’homophobie puisque cela revient à affirmer que les homosexuels ne peuvent rien apporter d’autre à la société que des enfants. Nous vivons bien la fin de la contre-culture homosexuelle.

De fait, il existe des dizaines de milliers d’enfants français vivant dans des foyers homosexuels. Comment accorder des droits à ceux qui les élèvent sans bouleverser leur filiation ?

Contentons-nous d’élaborer un statut de beau-parent digne de ce nom et valable pour toutes les situations. S’agissant d’une PMA effectuée par un couple de lesbiennes, qui auraient par exemple payé une clinique en Belgique, puisque ce droit leur est fermé en France, la compagne de la mère biologique doit avoir des responsabilités reconnues par la loi. Non pas en tant que deuxième parent, mais comme beau-parent, ce qui est radicalement différent sur un plan symbolique. La même règle vaudrait pour les couples hétérosexuels.  Quand aux hommes qui ont recours à une mère porteuse à l’étranger, leur situation est différente. Même s’ils peuvent prouver que l’un d’entre eux est le père biologique, le fait d’instrumentaliser des femmes est tout à fait inadmissible et contraire à la reconnaissance du droit des femmes. Nous avançons sur une pente très dangereuse…

Indépendamment des intérêts de l’enfant, la banalisation des familles avec « deux papas » ou « deux mamans » ne contribue-t-elle pas à mieux faire accepter l’homosexualité ?

Ne vous y trompez pas : cela ne fait pas accepter la différence, mais plutôt le semblable. Dans l’inconscient collectif, une lesbienne ayant un enfant est perçue comme une femme, et non comme une lesbienne. Grâce à sa maternité, elle cesse d’être transgressive et se trouve beaucoup mieux acceptée dans la famille. Côté gay, les choses sont différentes car un homme n’a pas besoin de faire des enfants pour exister dans une famille et accéder au pouvoir dans la société. On se demande d’ailleurs si la revendication du droit à l’enfant n’est pas une façon de récupérer le pouvoir du Père : transmettre son nom et son patrimoine à sa descendance. Aujourd’hui, le patriarcat revient par l’entremise des gays, dès lors qu’ils se détournent de l’égalité entre les sexes ![/access]

*Photo : wiki commons.

Juin 2014 #14

Article extrait du Magazine Causeur



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