J’ai fait un (mauvais) rêve


J’ai fait un (mauvais) rêve
(Photo : Paul Townsend - Flickr - cc)
(Photo : Paul Townsend - Flickr - cc)

La nuit dernière, j’ai fait un rêve bizarre. Le genre de rêve qui fout vraiment les jetons. J’étais prisonnier d’un monde total(itair)ement politiquement correct. Une sorte de dystopie orwellienne, en pire. Massacre à la tronçonneuse ou Vendredi 13 à côté, c’est presque un conte pour enfants… Je vous raconte.

C’est le jour de Noël. J’allume la radio et me rends compte que seul France Inter émet, au moment même où Patrick Cohen passe la main à Nicolas Demorand. Bizarre. Du coup je mets en marche ma télé. Toutes les chaînes sont payantes et cryptées, hormis celles du service public, iTélé et Arte. Le journal de 13 h de France 2 est présenté par Noël Mamère, lequel a arrêté la politique après ses 0,3 % à la dernière présidentielle pour se consacrer de nouveau au journalisme.

J’apprends ainsi que le pays est gouverné par un Comité de bien-pensance publique dirigé par Edwy Plenel et composé de six hommes et six femmes, mixité oblige. Parmi ses membres figurent Clémentine AutainJean-Louis BiancoAymeric CaronCaroline de HaasEva Joly, Gérard Filoche, Gérard Miller ou encore Alain Juppé. Une goutte de sueur perle sur mon front. J’apprends également que Michel Houellebecq vient d’être retrouvé mort à son domicile. De source officielle, il se serait suicidé d’un coup de poignard dans le dos.

Mamère lance ensuite un reportage sur la prison du Temple, apparemment restaurée, où sont enfermés Eric ZemmourElisabeth BadinterAlain Finkielkraut et Malek Boutih, tous inculpés pour « islamophobie ». Michel Onfray a, lui, été condamné par contumace car il s’est réfugié à Cuba. Par curiosité, je zappe sur iTélé et tombe sur Claude Askolovitch qui regarde dans les yeux la caméra en disant « Pas de stigmatisation, pas d’amalgame ». Un quatrième attentat a eu lieu cette semaine en Belgique. Déprimant.

Je tente ma chance sur France 3 où une naine unijambiste et borgne présente la météo régionale. Vu sa coupe de cheveux et son accoutrement, je me demande si elle n’est pas lesbienne. Mais je n’en suis pas certain. Bon, j’enfile mon manteau et décide de faire un tour au jardin du Luxembourg. En sortant, je croise mon nouveau voisin pakistanais. Un homme charmant, même si l’on a du mal à se comprendre tous les deux.

A chacun son wagon camarade !

J’arrive près de ma station de métro. C’est étrange, car je me rends compte que je n’ai vu aucune déco de Noël dans la rue. Je croise une jeune femme bien roulée en mini-jupe et ne peux m’empêcher — c’est hélas instinctif, voire darwinien — de me retourner. Là, une policière m’interpelle et me fait payer une amende de 22 euros. Elle me rappelle qu’en vertu de la loi du 18 fructose, pardon fructidor, qui vise à lutter contre les manifestations d’oppression masculine, il est désormais interdit de reluquer de façon trop marquée une silhouette féminine. Si mes calculs sont bons, je serai verbalisé à 14 reprises pendant mon rêve.

La rame de métro arrive. Je pénètre dans un wagon particulièrement cosy et parfaitement chauffé. Un détail m’étonne néanmoins : assis sur des fauteuils confortables, tout le monde feuillette Le Nouvel obs ou Libé. Un jeune binoclard aux faux airs de hipster me murmure que je suis obligé de monter dans le wagon d’à côté, car je n’ai rien en main. Comme les regards sont pesants, je ne me fais pas prier et m’exécute. Dans l’autre wagon, pas de fauteuil molletonné, mais des banquettes austères, placées sous un immense panneau : « REACTIONNAIRES ! » Il fait froid. Je m’enquiers de ce qui se passe auprès de mon voisin, lequel m’explique que l’on n’a pas à se plaindre car dans le troisième wagon, réservé aux lecteurs du Figaro et de Causeur, il n’y a même pas de banquettes pour s’assoir !

J’arrive enfin devant le Jardin du Luxembourg. Je ne reconnais pas du tout les alentours ! On se croirait dans le 13e arrondissement. Des tours ont remplacé les immeubles haussmanniens. Je croise une vieille dame que promène son chien et lui pose des questions. J’apprends ainsi qu’en vertu de la loi du 14 prairial sur le vivre ensemble et la mixité sociale, chaque immeuble doit contenir une moitié de locataires « issus de la diversité ». Tout propriétaire d’un logement de plus de 50 m2 doit en outre héberger un migrant pendant un an, trois s’il habite le 16ème arrondissement. C’est la raison pour laquelle on a été obligé de lancer un vaste programme de construction.

J’apprends également que le calendrier grégorien ayant été jugé discriminant à l’égard des autres religions, le calendrier républicain a été rétabli. La vieille dame me révèle par ailleurs que, pour les mêmes raisons, Noël a été remplacé par la Fête de la Diversité. Je lui demande pourquoi certaines personnes portent un bracelet électronique dans la rue. Elle m’explique que seuls les mâles blancs, hétéros et chrétiens ou athées ont l’obligation d’en porter. Je ne comprends pas non plus pourquoi les couloirs de bus sont saturés alors que les voies classiques roulent parfaitement. La vieille dame me confie qu’en raison des embouteillages dans Paris, les voies réservées au bus et aux taxis ont été ouvertes aux femmes et aux minorités ethniques au nom de la discrimination positive. Mais que du coup, ce sont ces voies qui sont désormais saturées. Je note au passage qu’on roule maintenant à gauche dans la capitale.

Le grand roque du vocabulaire

Dans le Jardin du Luxembourg, je m’approche de l’endroit où pullulent des joueurs d’échecs, l’une de mes passions. Et là, je pige que dalle. J’interpelle un joueur.
– Excusez-moi, mais vous savez que ce ne sont pas les noirs qui commencent la partie normalement…
– De quelle planète venez-vous monsieur ? La Commissaire à l’Egalité réelle a modifié les règles il y a longtemps. En vertu de la loi du 3 ventôse, ce sont les pièces « de couleurs », et non les « noirs » comme vous dîtes trivialement, qui commencent la partie…
– Et le roi ?
– Vous voulez parler du « tyran » ? On ne dit plus le « roi », symbole de l’oppression. De même, les « pions » s’appellent désormais les « surveillants » et doivent protéger la « dame » à la place du « tyran »…

Je m’enfuis et cours pendant de longues minutes, une cavalcade seulement interrompue par les amendes de 22 euros que je dois débourser, ici ou là. J’ai l’impression de vivre un cauchemar ce qui, ironie de l’histoire, est le cas. Je passe devant la vitrine d’une librairie où est mis en exergue un best-seller d’Agatha Christie intitulé A la fin, il ne reste plus personne. J’entre intrigué et confesse au vendeur que je ne savais pas que la romancière anglaise avait écrit ce livre. Mon interlocuteur m’informe qu’il s’agit en fait de la version rebaptisée des Dix petits nègres. Stupéfait, j’apprends également que Tintin au Congo se vend sous le manteau et que la version originale des Mémoires du général de Gaulle est interdite, tout comme Les Aventures de Babar, suspecté de défendre en creux (comme dirait l’autre) des idées colonialistes.
– C’est une blague ?
– Sûrement pas, les blagues sont interdites en public !
– Quoi ?
– Le Comité a remarqué que la plupart des histoires drôles étaient tendancieuses, car trop souvent à caractère homophobe, sexiste, antisémite ou raciste… Seules les blagues Carambar et les charades sont autorisées.
– Et dans votre monde, on a le droit de baiser au moins ?
– Cela dépend ?
– Comment ça cela dépend ?
– La sexualité est encadrée par la loi du 11 prairial. En vertu de l’égalité femme-homme, la durée de la fellation ne doit excéder celle du cunnilingus. Il n’y a que trois positions autorisées, les autres étant jugées potentiellement dégradantes pour les femmes : le « missionnaire », la « balançoire » et « l’herboriste ». La « levrette » est passible d’une peine d’intérêt général. Quand à la s…
– C’est bon, j’ai compris.

Je sors du magasin abasourdi et suis aussitôt abordé par un homme hirsute, vêtu d’un imperméable beige. Il me demande de le suivre jusqu’à une petite ruelle. Là, il entrouvre furtivement son imper et me propose un CD de Michel Sardou, un livre de Sacha Guitry et un DVD de La Petite maison dans la prairie. Sardou et Guitry, je vois à peu près pourquoi, mais La Petite maison dans la prairie ? Le clone de Columbo m’explique que cette série est prohibée car elle contient des passages controversés sur les Indiens d’Amérique.

J’arrive enfin au seuil de ma porte, où règne une odeur appétissante de cheese nan. Mais aucun bruit. Parce que le bruit et les odeurs, plus un voisin pakistanais, ça sort illico du cadre du politiquement correct. Je mets le journal de 20 heures, présenté par Bruno Masure. J’apprends qu’une technicienne de surface en surcharge pondérale non-voyante et malentendante a été « l’auteure » (sic) d’un homicide envers son mari, un ancien exploitant agricole demandeur d’emploi et issu de la minorité visible. Traduire : une femme de ménage obèse, sourde et aveugle a étranglé son mari, un paysan maghrébin au chômage.

Avant de clôturer son journal sur un dicton (« A la Saint-Valentin, elle me tient la main. Vivement la Sainte-Marguerite »), Bruno Masure évoque le titre de champion de France de foot remporté par l’OM. Les nouvelles règles, qui stipulent qu’au nom de l’égalité les matchs nuls valent 3 points et les victoires 1 seul point, ont semble-t-il avantagé le club marseillais.

C’est à y perdre son gaulois…

Je zappe sur iTélé. J’entends à peine Olivier Ravanello dire « Pas de stigmatisation, pas d’amalgame » que je bascule sur France 5, où je découvre une pub avec la poupée Barbie, habillée en plombier, à côté de Ken, vêtu d’un simple tablier de cuisine… Sur France 4, un dessin animé. Astérix « l’Européen » (anciennement Astérix « le Gaulois ») dévore un sanglier avec son ami Obélix, qui a étrangement la peau noire. J’ignore quelle loi est à l’origine de cette teinture. Je jette un œil au programme : après Astérix, France 4 doit diffuser Blanche-Neige et les sept personnes de petite taille, suivi de La Belle et le SDF.

Sur Arte, je tombe sur une speakerine bègue qui annonce une soirée James Bond : tous les 007 seront diffusés successivement, sauf deux. Je me dis qu’il faudrait au moins deux jours entiers pour les voir tous, mais je comprends vite mon erreur. Expurgé de ses scènes jugées violentes et sexistes, la durée de chaque James Bond n’excède guère dix minutes. Les diamants sont éternels, où les méchants sont joués par un couple d’homosexuels, n’est pas diffusé. Tout comme Vivre et laisser mourir, où Roger Moore combat un homme de couleur, Mr Big. Un cliché honteusement raciste.

Sur France 3, une fois n’est pas coutume, pas d’énième rediffusion du Père Noël est une ordure, mais un pot-pourri des meilleurs spectacles de Guy Bedos et Stéphane Guillon. Du coup, je repasse sur France 2 où David Pujadas anime « Des paroles et des actes », émission qui a pour thème : « Comment combattre le terrorisme ». Pour analyser et trouver des réponses à ce délicat problème, l’animateur, pardon le journaliste a invité Joey Starr, l’ex-footballeur Vikash Dhorasoo, le psychotérapeuthe Christophe André et le moine bouddhiste Matthieu Ricard. Karim Rissouli fait son apparition pour évoquer le débat qui a eu lieu en début d’émission entre Edwy Plenel et Alain Finkielkraut, lequel avait obtenu une permission temporaire de sortie. Rissouli explique que les réseaux sociaux ont été bien davantage convaincus par le président du Comité de bien-pensance publique que par le « pseudo philosophe », selon ses termes.

La soirée se poursuit avec l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché », diffusée désormais quatre fois par jour sur le service public. Un nouveau concept. L’animateur précise que pour respecter la pluralité des opinions, il y aura désormais un invité plutôt centriste, voire de droite, parmi la dizaine de personnalités autour de la table. Le téléphone sonne tout d’un coup. Je me réveille d’un bond, en nage. Tout ceci n’était en fait qu’un interminable cauchemar ! Que ça fait du bien, parfois, de retrouver le monde réel…



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Journaliste. Il a notamment participé au lancement du quotidien 20 Minutes en France début 2002 et a récemment écrit pour Causeur

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