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Affaire Baby-Loup : il faut changer la loi


Affaire Baby-Loup : il faut changer la loi

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Mardi 19 mars, la Chambre sociale de la Cour de Cassation cassait le jugement de la Cour d’Appel de Versailles, laquelle avait confirmé le licenciement pour faute d’une employée de la crèche Baby-Loup de Chanteloup-les-vignes (78). L’employée avait été licenciée pour avoir refusé de se conformer au règlement intérieur de l’établissement, prohibant le port d’un signe confessionnel ostentatoire, un voile islamique en l’occurrence. La Cour de cassation a jugé que le licenciement attentait au Code du travail qui dispose, en son article L 1121-1, que l’employeur ne peut apporter de restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles, dont la liberté religieuse.
Du seul point de vue juridique, ce jugement n’est finalement pas si étonnant, si on en croit la jurisprudence de la Cour, qui sacralise depuis quelques décennies la liberté individuelle. Nous avons interrogé quelques juristes, qui ne sont pas tombés pas des nues à l’énoncé du verdict, et leur avons posé le petit cas pratique suivant : imaginons que vivant dans un gros village miné par les disputes politiques, une personne décide de créer une association de joueurs de belote, strictement apolitique et où le fait même d’aborder ce sujet polémique sera prohibé dans les statuts ainsi que dans le règlement intérieur. Imaginons que ladite association embauche un barman pour certaines soirées et que celui-ci décide un jour de venir travailler avec un tee-shirt faisant la promotion de François Hollande, Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen. Imaginons enfin que l’employé soit licencié pour irrespect du caractère apolitique de l’association, inscrit dans le règlement intérieur. Que dirait la Cour de cassation ? D’après les trois juristes que j’ai interrogés[1. Lesquels ne passent pas pour des ennemis de la République et des promoteurs du communautarisme.], le verdict serait à coup sûr le même que celui qui a sanctionné mardi la crèche Baby-Loup. Franchement, cela pose un problème, qui n’est pas seulement  juridique mais philosophique et politique. Pourquoi le juge favorise-t-il la liberté individuelle plutôt que la liberté d’association ? Après tout, la seconde a autant d’importance que la première. En déniant le droit d’une association – qu’elle soit une crèche ou l’exemple de mon association villageoise – à vivre selon ses valeurs et ses buts, ne crée-t-on pas une situation tout autant liberticide ?
La philosophe Catherine Kintzler explique dans un texte passionnant en quoi la lutte contre la discrimination contre des croyants se fait, à l’occasion de l’Arrêt Baby-Loup, au détriment des laïques et des non-croyants. La liberté de conscience se restreindrait-elle, nous interroge-t-elle, à la liberté religieuse ? Dans un appel publié dans Marianne ce samedi, un collectif de personnalités parmi lesquelles Elisabeth Badinter, Caroline Fourest, Jeannette Bougrab et Alain Finkielkraut, prend le gouvernement à témoin : comment est-il possible de créer des crèches confessionnelles et d’interdire à d’autres établissements en charge de la petite enfance  d’imposer la neutralité en leur sein ? Les signataires ont raison d’être vigilants et d’interpeller ainsi le gouvernement. Laisser le dernier mot à la Cour de Cassation, comme d’autres refilèrent le bébé au Conseil d’Etat en 1989, constituerait une désertion du politique. En l’espèce, le Code du travail laisse une marge de manoeuvre trop importante au Juge en disposant que seules « des restrictions qui seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché » peuvent être imposées. On peut ainsi interdire à un homme de porter un bermuda par temps chaud, parce qu’il est en contact avec la clientèle, tout en autorisant aux femmes de la même entreprise à porter une telle tenue[2. Arrêt Cédric Monribot contre Sagem sécurité – 9/12/2008.], et interdire à une crèche – dont le credo laïc est inscrit dans les statuts et le règlement – de prohiber le voile islamique. Cette incertitude est d’autant moins supportable que l’employeur est petit. Si une grosse multinationale dispose d’une armée de juristes dans ses services du personnel et peut se relever d’une condamnation pour licenciement abusif, ce n’est pas le cas de structures plus modestes, comme l’association Baby-Loup.
Du côté du gouvernement, on a semblé s’émouvoir de la situation. Manuel Valls a regretté publiquement la décision de la Cour de Cassation et Najat Vallaud-Belkacem a déclaré que « la laïcité ne devait pas s’arrêter à la porte des crèches ». Harlem Désir, premier secrétaire du PS, demande également que le législateur reprenne la main. Si tel devait être le cas, on se dirige vers l’extension aux crèches privées de la notion de mission de service public, ce qui leur permettrait d’intégrer dans leurs règlements les mêmes exigences en matière de laïcité que celles qui s’imposent dans les crèches publiques ou les écoles[3. L’arrêt de la Cour de Cassation a rendu le même jour un arrêt concernant une employée de la sécurité sociale. On l’a très peu noté mais celui-là constitue une victoire pour la laïcité puisqu’il a étendu aux organismes de sécu les exigences qui existent dans la fonction publique.]. Pour ma part, je serais tenté de demander au gouvernement davantage d’ambition en modifiant le code du travail, autorisant les organismes privés à se prévaloir, s’ils le souhaitent, des mêmes dispositions que la fonction publique en matière de laïcité. Mais comme me l’expliquait une haute autorité de Causeur, il faut savoir tenir compte des rapports de force politiques et sociaux et savoir demander peu, dans un premier temps…

*Photo : European Parliament.



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