Au nom de la République


Au nom de la République

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D’ordinaire, il n’est pas domaine plus clivant que la politique. Il est comme une tradition, au sein de bon nombre de foyers français, de ne pas parler de politique entre personnes de sensibilités et de convictions différentes. Sans même chercher à convaincre l’autre, tout dialogue paraît impossible entre gauchos et droitards autrement que par isoloir interposé ou par invectives sous pseudonymes sur quelque forum en ligne. Toutefois, ce constat se vérifie de moins en moins dans la logique des partis. Chose impensable il y a encore quelques années : il est actuellement des sujets qui fédèrent les extrêmes sans que ceux-ci veuillent se l’avouer. Il est aussi des principes qui, dorénavant, s’assument tout autant au PS qu’à l’UMP, tant et si bien que leurs électeurs confondus ont de plus en plus de mal à différencier deux enseignes qui semblent leur vendre exactement les mêmes produits. Ne faut-il y voir qu’une intention malveillante de certains à brouiller les pistes ? N’est-ce pas plutôt l’épilogue pathétique d’une comédie qui a assez duré ?

Qu’est-ce qu’être de gauche ? Qu’est-ce qu’être de droite ? Au-delà des apparences, n’y a-t-il pas davantage une commodité de langage qu’autre chose dans cette partition historique et sociale ? Y a-t-il vraiment une panoplie complète et rigoureuse à posséder pour se réclamer de l’un ou l’autre camp, ou peut-on chipoter ? Pour me dire de gauche sans le moindre complexe, puis-je par exemple échanger le droit d’être peu soucieux du sort des pauvres contre une défense ardente et tapageuse de la cause homosexuelle ? En vis-à-vis, suis-je tout de même de droite si, ayant épousé une femme musulmane, j’expie ma faute en plaçant beaucoup d’argent en bourse ? Peut-on déroger « à la carte », afin de pouvoir conserver l’aura d’un engagement idéologique sans les désagréments de la rigidité dogmatique que cela induit ? Si la réponse est non, est-on condamné à faire semblant en approuvant tout ce que notre « famille politique » produit de peur d’être vu comme un tiède, voire un traitre à la cause ? La seule alternative serait-elle de ne plus s’exprimer en public sur des sujets sociaux pour ne pas se voir opposer le reproche d’inconséquence ou certains noms d’oiseau ?

En règle générale, une fracture se produit spontanément entre ceux pour lesquels prime le souci de soi, et ceux qui entretiennent le souci des autres. Plus exactement entre ceux qui ont à cœur de faire savoir qu’ils font partie des seconds et ceux, beaucoup plus discrets sur ce thème, qui de ce fait se retrouvent classés à droite. Ainsi l’altruisme est-il une valeur mieux représentée à gauche, avec de bons côtés qui vont de soi, mais également de mauvais. Car lorsqu’il est sans conditions, le souci des autres en vient aisément à faire d’eux de sempiternelles victimes, oblitérant par là même le poids de leur responsabilité propre dans leur condition ordinaire. La générosité manifestée cache alors très mal ce qu’elle doit à la charité chrétienne tout en la rebaptisant « justice sociale ». Inversement, le souci de soi, lorsqu’il ne confine pas à l’égoïsme, inclut une certaine forme de civisme servi par un réflexe introspectif et un minimum de décence en société. En d’autres termes, l’altruisme coûte que coûte vise à la communion des hommes, quitte à ce qu’ils soient rendus totalement irresponsables.

De ceci découle deux tendances qui semblent emprunter des voies opposées. L’ouverture aux autres enjoint à la découverte, au renouveau et au mouvement ; le scrupule identitaire garantit quant à lui l’ordre, la fixité et la sécurité. La première s’inquiète de l’extension et du respect des droits, le second de la permanence d’un sentiment d’obligation. Progrès d’un côté, tradition de l’autre. Mises sèchement en opposition lors même qu’elles sont complémentaires, ces deux tendances font de la politique une discipline schizophrène. Et en sommant les électeurs de choisir gauche ou droite, on leur demande ni plus ni moins que de solliciter et d’affermir une moitié d’eux-mêmes au détriment de l’autre. Comme la partie aux dehors généreux est aussi, pour cette raison même, la plus exubérante, il y a risque de voir l’autre partie se perdre dans une colère sclérosante lorsqu’à ses yeux la coupe est pleine. C’est donc la possibilité d’une pensée plus subtile qui se voit sacrifiée sur l’autel de l’alternance en politique, ce triste vaudeville qui scande le développement des démocraties contemporaines.

« La République ! » nous avait-on pourtant promis. Étymologiquement, la res publica est la chose commune, c’est-à-dire le sort du tout, ce qui concerne et son essor, et sa survie, soit les deux modalités d’une pérennité sans laquelle les parties comptent pour du beurre. Se référer à la République, c’est tenir ces deux exigences ensemble, les faire cohabiter et donc, forcément, relativiser ce débat gauche-droite qui, en temps de crise majeure, devient obscène et insulte le bon sens. D’aucuns invoqueront l’ordre et l’ordre est essentiel ; d’autres demanderont qu’advienne la justice et la justice est primordiale. Mais l’ordre n’est pas fatalement l’inertie et la justice ne mène pas nécessairement à l’égalité. Il y a des médiétés difficiles à appréhender. Elles sont rendues plus inaccessibles encore par la perte de valeurs communes qui seules peuvent de temps en temps nous permettre un semblant d’objectivité et un attachement au bien commun. Pas au bien « social » ni à un bien « libéral ». Au bien commun.

Pour autant, l’esprit de République n’est pas un irénisme. Il faut se satisfaire des conflits et du choc des idées comme témoignages de la démocratie à l’œuvre. Mais si l’esprit de chapelle prend le dessus, si l’incohérence et le sectarisme se trouvent être les ultimes éléments communs aux forces en présence, alors l’état de crise n’est plus une anomalie malencontreuse, il devient la règle. Quelle que soit l’obédience politique que l’on se choisit, il faut conserver à l’esprit qu’une part de légitimité se glisse dans la propriété privée et qu’une autre est du ressort de choses à partager, que ce n’est pas trahir la laïcité que de reconnaître ce que la France doit au christianisme, que le principe d’identité n’est pas rendu immuable en faisant de la nation son objet, et que faire l’expérience de la curiosité, mère de tous les changements, c’est éprouver l’altérité. Cette axiomatique rudimentaire, dans son ensemble, ne peut être et ne sera jamais celle d’un parti quelconque. Elle est celle d’une vision républicaine que l’individu intéressé au bien commun peut seul défendre et promouvoir. La gauche et la droite, dans leur opposition frontale et théâtrale, à l’Assemblée comme au bistrot, font obstacle à la fluidité des échanges, à la finesse des points de vue, donc par répercussion à la recherche de solutions adéquates à des problèmes de dimension nationale. La nuance n’est pas l’affaire des partis, elle est l’attribut d’individus responsables, c’est-à-dire au moins autant soucieux de réussir individuellement que de partager un sort commun.

*Photo:  VINCENT WARTNER/20 MINUTE/SIPA.00655743_000014



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est l'auteur du Miroir des Peuples (Perspectives libres, 2015).

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